Le détachement — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Le détachement

Je me demande s’il y a, au monde, vingt hommes vivants qui voient les choses telles qu’elles sont réellement. C’est-à-dire vingt hommes libres, qui ne soient pas dominés ou même influencés par leur attachement à une chose créée, à leur moi, à un don de Dieu, ou même à la plus élevée, à la plus pure de Ses grâces. Je ne crois pas qu’il y ait vingt hommes de ce genre au monde. Mais il y en a peut-être un ou deux. Ce sont eux qui maintiennent l’univers et l’empêchent de s’effondrer.

Toutes les choses que nous aimons pour elles-mêmes, en dehors de Dieu Seul, aveuglent notre intelligence, détruisent notre sens des valeurs morales et corrompent notre choix de sorte que nous ne pouvons distinguer clairement le bien du mal, ni la volonté de Dieu.

Et lorsque nous désirons et aimons les choses pour elles-mêmes, en dehors de Dieu Seul, même si nous comprenons les principes généraux de la morale, nous ne savons pas les appliquer. Ou, si nous les appliquons correctement dans la forme, nous négligerons peut-être une circonstance cachée qui entachera d’imperfection nos actes les meilleurs.

Quant à ceux qui s’abandonnent complètement aux désordres du péché, ils deviennent souvent totalement incapables de comprendre les principes les plus simples ; ils ne savent même plus reconnaître les lois morales les plus naturelles et les plus évidentes. Peut-être possèdent-ils les dons les plus brillants et sont-ils capables de discuter des questions de morale les plus subtiles – mais ils n’ont pas la moindre idée de ce dont ils parlent, parce qu’ils n’aiment pas ces questions en tant que valeurs ; ils ne s’y intéressent que d’une manière abstraite, en tant qu’idées.

Le secret de la paix intérieure est le détachement. Le recueillement est impossible à l’homme qui se laisse mener par les désirs confus et changeants de sa volonté. Même si ces désirs tendent vers les biens spirituels, vers le recueillement, la paix, les satisfactions de la prière, s’ils ne sont que des désirs naturels et intéressés, ils rendent le recueillement difficile et même impossible.

Nous ne pourrons jamais avoir une vie intérieure et un recueillement parfaits si nous ne sommes pas détachés du désir même de cette paix et de ce recueillement. Nous ne pourrons jamais prier parfaitement si nous ne sommes pas détachés des satisfactions de la prière.

Si nous renonçons à tous ces désirs et si nous cherchons seulement la volonté de Dieu, Il nous donnera le recueillement et la paix au milieu des travaux, des luttes et des épreuves.

Thomas Merton, Semences de contemplation (extraits),
Traduction par Marie Tadié, Editions du Seuil (1963) p.153-154,156,157