Jeudi Saint … — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Jeudi Saint …

Evangile et peinture

Voici des jours que, nous devons observer des jours pleins de piété, et de grâce, pendant lesquels, les hommes, même les plus scélérats, reviennent à des sentiments de pénitence. Telle est la force des mystères qui se célèbrent ces jours-ci...

Bernard de Clairvaux

Sermon sur le baptême, le sacrement de l’autel et le lavement des pieds. (extraits)

 

Voici des jours que, nous devons observer des jours pleins de piété, et de grâce, pendant lesquels, les hommes, même les plus scélérats, reviennent à des sentiments de pénitence. Telle est la force des mystères qui se célèbrent ces jours-ci. Ils sont capables de fendre des cœurs de pierre et d'attendrir des âmes dures comme le fer. D'ailleurs, ne voyons-nous pas aujourd'hui encore, non seulement les corps célestes compatir à la passion de Jésus-Christ, mais la terre même trembler dans ses fondements, les rochers se fendre et les sépulcres s'entrouvrir par la confession des péchés des hommes. Mais il en est des aliments de l'âme comme de ceux du corps, les uns font sentir leur goût et leur saveur dès qu'on les mange, les autres, au contraire, ont besoin d'être broyés. Pour ceux qu'il est facile à l'âme de goûter, il n'est pas besoin de notre ministère pour être préparés, mais quant aux aliments qui dérobent leurs propriétés, ils réclament une étude plus attentive. Et, de même qu'une mère ne donne point une noix entière à son jeune enfant, mais a soin de la casser pour ne lui en donner que l’intérieur.

On entend par sacrement un signe ou un secret sacré. Il y a bien des choses qu'on fait pour elles-mêmes, il y en a beaucoup aussi qu'on fait pour en signifier d'autres, celles-ci sont appelées, et sont en effet des signes. Prenons un exemple : Il peut se faire qu'on donne un anneau à quelqu'un uniquement pour lui donner un anneau : un tel don n'a aucune signification, mais si on le donne comme un titre à un héritage, il devient un signe et celui qui le reçoit peut dire alors l'anneau n'a aucune valeur, il est vrai, mais il représente l'héritage que je désirais avoir. De même, lorsque le Seigneur vit que sa Passion approchait, il eut soin d'investir ses disciples de sa force, afin que la grâce invisible fût communiquée par un signe sensible. Voilà pourquoi tous les sacrements ont été institués : telle est la communion eucharistique, telle l'ablution des pieds, tel enfin le baptême lui-même, le premier des sacrements, celui dans lequel nous devenons une même plante avec le Christ par la ressemblance de sa mort, et la triple immersion qui se fait de nous alors rappelle les trois jours que nous allons célébrer. Mais de même qu'il y a bien des signes extérieurs qui différent les uns des autres, ainsi, pour ne point sortir de l'exemple que nous avons choisi, y a-t-il plusieurs sortes d'investitures selon les différentes grâces dont nous sommes investis. Ainsi le chanoine est investi par le livre, l'abbé par la crosse, et l'évêque par la crosse et l'anneau. De même en est-il pour les réalités dont il est question ici : les grâces dans leur diversité sont transmises par des sacrements divers.

Or, de quelle grâce sommes-nous investis par le baptême? Nous sommes lavés de nos péchés. Qui est-ce qui peut rendre pur celui qui est né d'un germe impur, sinon Dieu seul, parce que seul il est pur et exempt de tout péché ? Le sacrement qui produisait jadis cet effet était la circoncision, dont le couteau retranchait, de notre chair, la rouille de la faute originelle qui s'était étendue de nos premiers parents jusqu'à nous; mais quand vint le Seigneur, l'agneau plein de douceur et de bonté, dont le joug aussi est doux et le fardeau léger, il se produisit un changement en bien, et la rouille invétérée du péché se fondit dans l'eau et l'onction du Saint-Esprit, la cruauté du remède disparut.

Mais peut-être me dira-t-on et me demandera-t-on pourquoi, si le baptême efface en nous le péché que nous tenons de nos premiers parents, il reste encore dans nos âmes, un foyer de cupidité, comme un levain puissant de péché; car nul ne saurait mettre  en doute que cette dure loi du péché ne soit passée de nos premiers parents jusqu'à nous, puisque nous devons tous la vie à une volonté pécheresse De là vient que notre volonté à nous est elle-même corrompue et comme remplie d'ulcères, et que, même malgré nous, nous ressentons les attraits de la concupiscence et les mouvements désordonnés qu'éprouvent les bêtes elles-mêmes. Je vous l'ai dit bien souvent, mes frères, et il ne faut point le perdre de vue, c'est parce que nous sommes tous tombés en Adam.   

Nous laver est l'affaire d'un instant, mais il faut une longue suite de soins pour nous guérir de nos blessures. Or, nous sommes lavés dans le baptême où l'acte de notre damnation se trouve effacé; de plus nous recevons dans ce sacrement la grâce de n'avoir même plus rien à craindre de la concupiscence, si nous ne voulons point céder à ses attraits, et nous sommes pour ainsi dire débarrassés du pus infect de nos anciens ulcères, en même temps qu'est effacée notre condamnation, cette réponse de mort qui en découlait auparavant. Mais qui est-ce qui pourra refréner des mouvements si impétueux? Qui est-ce qui pourra supporter les démangeaisons dévorantes de cet antique ulcère? Ne désespérez point de le pouvoir, car nous avons pour cela aussi, une grâce qui nous aide et nous rend parfaitement sûrs du succès : c'est le sacrement où nous recevons le corps et le sang précieux du Seigneur. Ce sacrement produit deux effets en nous : en premier lieu il affaiblit la concupiscence dans les petites choses, et, dans les grandes, il nous empêche d'y consentir. Si donc, il y en a parmi vous qui ressentent moins souvent et moins fort les mouvements de la colère, de l'envie, de la luxure et des autres passions pareilles à celles-là, qu'ils en rendent grâces au corps et au sang du Seigneur, car c'est un effet de la vertu de ce sacrement dans son âme, et qu'il se réjouisse en voyant que son dangereux ulcère approche de sa guérison complète. Toutefois, que nul de nous ne méprise, ne regarde comme peu de chose ces sortes de fautes, car il est impossible d'être sauvé avec ces péchés là, impossible même de les effacer, sinon par Jésus-Christ et en vertu de ses mérites. Non, je le répète, que nul, parmi nous, ne s'endorme dans une fâcheuse sécurité, et ne se laisse aller à des paroles de malice, en cherchant à s'excuser de ces sortes de fautes (Ps 140,4). Comme il a été dit à saint Pierre par le Sauveur en personne, s'il ne les lave lui-même, nous n'aurons point de part avec lui. Toutefois, il ne faut pas non plus que nous nous en préoccupions à l'excès, car il nous est facile d'en obtenir le pardon de Dieu, qui ne demande pas mieux que de nous l'accorder. Il suffit pour cela que nous les reconnaissions. Dans ces sortes de fautes qui sont à peu près inévitables, si la négligence à la prévenir est coupable, la crainte excessive d'y tomber est un mal. Aussi, dans la prière qu'il nous a enseignée, a-t-il voulu que nous priions tous les jours pour obtenir le pardon de ces fautes quotidiennes. En parlant de la concupiscence, nous avons dit que si le Sauveur nous a arrachés à la damnation, attendu que, selon l'Apôtre, « il n'y a plus maintenant de damnation à craindre pour ceux qui sont en Jésus-Christ (Rm 8,1), » cependant il l'a laissée vivre dans nos cœurs pour nous humilier, nous affliger, nous apprendre tout ce que nous procure la grâce, et nous forcer à recourir à lui. Il en est de même de ces fautes légères. S’'il n'a pas voulu, par un secret dessein de sa bonté, nous en délivrer entièrement, c'est afin de nous apprendre que, si nous sommes incapables, par nos propres forces, de nous soustraire entièrement même à ces petits péchés, à plus forte raison ne saurions-nous de nous-mêmes éviter ceux qui sont plus grands, et qu'ainsi nous craignions constamment de perdre sa grâce, en voyant qu'elle nous est si nécessaire, et nous nous tenions sans cesse sur nos gardes contre un pareil malheur.

 

 

 

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