Entrer en carême avec les Pères — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Entrer en carême avec les Pères

Evangile et peinture

Des extraits choisis de textes de Pères cisterciens nous invitent à entrer dans le temps du carême : "Nous entrons aujourd'hui, mes bien-aimés, dit saint Bernard, dans le saint temps du carême, dans le temps destiné aux combats du chrétien, car les observances du carême ne sont pas faites pour nous seulement, elles le sont pour tous ceux qui nous sont unis par les liens de la foi."

Bernard de Clairvaux

Premier sermon pour le carême (extraits)


Nous entrons aujourd'hui, mes bien-aimés, dans le saint temps du carême, dans le temps destiné aux combats du chrétien, car les observances du carême ne sont pas faites pour nous seulement, elles le sont pour tous ceux qui nous sont unis par les liens de la foi. Après tout, pourquoi le jeûne du Christ ne serait-il pas commun à tous les chrétiens ? Pourquoi les membres ne suivraient-ils point leur chef ? Si nous recevons les biens des mains de ce chef, pourquoi n'en accepterions-nous point aussi les maux ? Voudrions-nous donc n'avoir de commun avec lui que ce qui est agréable, mais non  ce qui est triste et pénible ? S'il en est ainsi, nous montrions que nous sommes des membres indignes d'une pareille tête. En effet, tout ce qu'il souffre, c'est pour nous qu'il l'endure. S'il nous en coûte trop de travailler avec lui à l'oeuvre de notre salut, en quoi pourrions-nous après cela unir nos œuvres aux siennes. Il n'y a pas grand mérite de jeûner avec Jésus-Christ quand on doit s'asseoir avec lui à la table de son Père, et il n'y a rien de bien surprenant que le membre souffre avec la tête, quand il doit être glorifié avec elle. Heureux le membre qui aura en toutes choses adhéré à la tête, et qui l'aura suivie partout où elle sera allée.

 

Bernard de Clairvaux

Deuxième sermon pour le carême (extraits)


Maintenant donc, dit le Seigneur Tout Puissant, convertissez-vous à moi, de tout votre coeur, dans les jeûnes, dans les larmes et dans les gémissements. Déchirez vos coeurs, non vos vêtements (Jl 2,12). Que veut dire le, Seigneur, quand il nous ordonne, mes bien-aimés frères, de nous convertir à lui?
Que veux-tu que  je fasse ? Où me tourner pour me tourner vers toi ?
Ô homme, pourquoi t'enfles-tu? Pourquoi t'élèves-tu sans cause ? Pourquoi ces pensées de grandeur et ces regards toujours dirigés vers ce qui est élevé et qui ne peut être bon pour toi? Sans doute, le Seigneur est grand, mais ce n'est pas en tant que tel qu'il t'est proposé en exemple. S'il faut louer sa grandeur, on ne saurait en même temps l'imiter. Sa magnificence est également élevée, tu ne pourras jamais l'égaler, en vain tu t'enflerais au point d'éclater, jamais tu ne pourras y atteindre. Il est dit ; « L'homme descendra au fond de son cœur et Dieu sera élevé (Ps 63,7). » En effet, Dieu est au-dessus de tout, mais il regarde les choses basses et humbles et ne voit que de loin celles qui sont élevées (Ps 137,6).  Telle est la loi de la piété, et c'est pour l'établir que tu as tant souffert, Seigneur. S'il nous avait indiqué la voie de la grandeur, et que ce fut la seule qui conduisit au salut de Dieu, que ne feraient point les hommes pour s'élever? Avec quelle charité ils se renverseraient les uns les autres, et se fouleraient aux pieds ? Avec quelle impudeur ils ramperaient sur les pieds et sur les mains, pour arriver en haut, et pour s'élever au dessus de tous leurs semblables? Or, il est certain que ceux qui veulent s'élever au dessus de leurs voisins, rencontreront bien des difficultés, auront beaucoup de rivaux, trouveront bien des contradicteurs, bien des gens qui s'efforceront aussi de s'élever de leur côté. Au contraire, rien de plus facile que de s'humilier si on le veut. Voilà, mes bien-aimés, ce qui nous rend tout à fait inexcusables et ne nous laisse pas la ressource du voile le plus léger.
« Convertissez-vous à moi, dit le Seigneur, de tout votre coeur. » Mes frères, si le Seigneur s'était contenté de nous dire : convertissez-vous, sans rien ajouter, peut-être aurions-nous pu répondre : c'est fait, tu peux maintenant nous prescrire autre chose. Mais il nous parle là, si je l'entends bien, d'une conversion toute  spirituelle, qui ne saurait être l'œuvre d'un seul jour. Plût au ciel même qu'elle pût s'accomplir pendant le cours entier de la vie présente. Quant à la conversion du corps, si elle est seule, elle est nulle, car cette sorte de conversion, qui n'en est pas une véritable, n'est qu'une vaine apparence de conversion. Combien à plaindre est l'homme qui, tout entier adonné aux choses du dehors, et oublieux de son intérieur, se croit quelque chose tandis qu'il n'est rien !
Examine attentivement ce que tu aimes, ce que tu crains et ce qui te réjouis ou te contriste, t’attriste, et tu trouveras que tu as un coeur mondain sous l'habit du religieux, un cœur pervers sous les dehors de la conversion. Le cœur est en effet tout entier dans ces quatre sentiments, et je crois que c'est d'eux qu'il faut entendre ces mots, convertissez-vous à Dieu de tout votre coeur. Que votre cœur se convertisse donc, c'est-à-dire, qu'il n'aime que Dieu ou du moins que pour Dieu. Que votre  crainte  se convertisse également à lui, car toute crainte qui n'a pas Dieu pour objet, ou ne se rapporte pas à lui, est mauvaise. De même que votre joie et votre tristesse se convertissent à lui de la même manière. Or il en sera ainsi, si vous ne vous affligez ou ne vous réjouissez qu'en lui. Que peut-il se voir, en effet, de plus pervers, que de se réjouir quand on a mal fait, et d'être heureux des pires choses ? D'un autre côté toute tristesse qui est selon la chair donne la mort (2 Co 7,10). Si donc vous vous affligez à cause de vos péchés ou de ceux du prochain, c'est bien, et votre tristesse est salutaire. Si vous vous réjouissez des grâces de Dieu, votre joie est sainte, et vous pouvez la goûter en toute sécurité dans le Saint-Esprit. Vous devez même vous réjouir, en Notre Seigneur Jésus-Christ, du bonheur de vos frères, et gémir de même de leurs malheurs, selon ce qui est écrit : « Soyez dans la joie avec ceux qui s'y trouvent, et dans les larmes avec ceux qui en versent (Rm 12,15). »
Toutefois il faut bien se garder de mépriser même la conversion du corps, attendu qu'elle n'est pas une preuve sans importance de la conversion du coeur. Voilà pourquoi, dans le passage que j'ai cité, le Seigneur, après avoir dit : «de tout votre coeur, » ajoute : « dans le jeûne, » ce qui ne concerne que le corps. Mais à ce sujet, je veux que vous sachiez bien, mes frères, que vous devez jeûner non seulement des aliments du corps, mais de tout ce qui flatte la chair et de tout ce qui est un plaisir pour le corps. Je dis plus, vous devez jeûner plus rigoureusement de vices que de pain.
Eh bien, mes chers amis, déchirons donc nos coeurs, et conservons nos vêtements intacts. C'est un bon vêtement que la charité, un excellent vêtement que l'obéissance.
La dureté du coeur, l'obstination de l'esprit ne viennent que de ce que nous méditons notre propre volonté, au lieu de méditer la loi de Dieu.
Cependant on peut encore entendre d'une autre manière ce déchirement du coeur, en ce sens que s'il est mauvais, il faut, en le déchirant, l'ouvrir à la componction et, s'il est dur, l'ouvrir à la compassion. Pourquoi donc ne déchirerait-on point le coeur pour qu'il se répande par les entrailles de la charité ? Il est doublement bien qu'il soit ainsi déchiré, pour que le virus du péché ne demeure point enfermé et caché dans le coeur, et pour que nous ne fermions point les entrailles de la miséricorde à notre prochain dans le besoin, afin que nous puissions, nous aussi, obtenir miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui est Dieu et béni par-dessus tout, dans les siècles des siècles.

 

Bernard de Clairvaux

Troisième sermon pour le  carême (extraits)


Mes bien-aimés, je vous prie d'observer avec toute la dévotion possible, le jeûne quadragésimal, non seulement à cause de l'abstinence qui nous y est prescrite, mais aussi et bien plus encore, pour le mystère caché sous ce jeûne. Si nous avons jeûné le reste de l'année avec piété, pendant ce saint temps, nous devons le faire avec bien plus de piété encore. Si donc il y a quelque chose de plus rigoureux dans ce jeûne que dans les autres, n'est-il pas tout à fait indigne de vous de vous plaindre d'observances que l'Église entière pratique avec nous ?
Je ne vous le rappelle, mes frères, que dans la crainte qu'il ne s'en trouve parmi vous qui n'observent pas avec assez de dévotion, le jeûne qui commence, découragés, en esprit, au souvenir des difficultés qu'ils ont éprouvées à pratiquer le premier jeûne. En effet, votre ennemi fait tout ce qu'il peut pour amoindrir notre holocauste, le priver du mérite de la piété, le rendre moins agréable à Dieu, empêcher notre âme de goûter les charmes de la joie spirituelle, et pour l'affaiblir, de même que l'indulgence affaiblira la loi du jeûne. Avertis de ses ruses, tenons-nous bien sur nos gardes contre lui. Puisque Dieu aime ceux qui lui donnent de bon coeur, et que notre âme, dans ces dispositions, s'ouvre davantage à l'espérance, ayons sous les yeux l'exemple de l'Église entière, afin de nous exciter à observer le jeûne avec le plus de dévotion possible.
Mais qu'ai-je besoin de vous parler de ceux qui partagent nos jeûnes? N'avons-nous point en matière de jeûne des modèles, que dis-je, des instituteurs excellents? Avec quelle dévotion devons-nous observer le jeûne qui nous vient, comme un héritage, de Moïse même, le saint à qui il fut donné, par une prérogative refusée aux autres prophètes, de s'entretenir avec Dieu face à face? Avec quelle ferveur ne devons-nous point le pratiquer, quand il nous est recommandé par Elie, le prophète qui a été enlevé au ciel dans un char de feu? Que de milliers d'hommes, depuis lors, ont succombé sous les coups de la mort, dont la loi est générale, et lui, protégé par la main de Dieu même, a échappé jusqu'à présent à ses atteintes. Mais si le jeûne est grand à nos yeux à cause de Moïse et d'Élie, qui sont grands il est vrai, mais qui néanmoins sont nos compagnons d'esclavage, combien plus doit-il l'être, en pensant qu'il nous est recommandé par Notre Seigneur Jésus-Christ, qui a jeûné lui-même aussi, pendant quarante jours et quarante nuits ! Quel est, je ne dis pas le moine, mais simplement le chrétien qui fera difficulté de pratiquer le jeûne dont le Christ lui a donné l'exemple. Après tout, nous devons imiter son jeûne avec d'autant plus de piété, mes frères bien-aimés, qu'il est plus certain que c'est pour nous, non pour lui, qu'il a lui-même jeûné.
Jeûnons donc, mes très chers frères, jeûnons avec piété pendant ce saint temps de carême, comme des hommes qui n'ignorent pas que leur carême se compose de plus de quarante jours, attendu que, pour nous, elle dure tout le temps de cette malheureuse vie, pendant laquelle, avec le secours de la grâce de Dieu, qui nous est assurée par les quatre évangiles, nous devons pratiquer les dix commandements de Dieu. Ceux qui croient que ces quelques jours suffisent pour faire pénitence, se trompent étrangement, attendu qu'il est certain que la vie entière n'est donnée que pour cela. En effet, le Prophète a dit : « Cherchez le Seigneur  » non seulement pendant quarante jours, mais pendant tout le temps qu'on peut le trouver et invoquez-le pendant qu'il est tout près de vous (Es 55,6).» Certainement ce ne sera plus le moment de l'invoquer, alors qu'il ne sera plus près de personne, et que pour les uns il sera présent, et pour les autres, infiniment éloigné. Mais ces mots mêmes «  il est auprès de vous » indiquent, assez clairement que nous ne le possédons point encore; néanmoins on peut aisément le trouver et l'avoir. Qui est celui qui vous semble avoir été le plus prochain de cet homme qui est tombé dans les mains des voleurs (Lc 10,36) ? N'est-ce pas celui qui a eu pitié de lui ? Ainsi, puisque pendant tout ce temps de miséricorde, le Seigneur est tout proche, cherchez-le, mes très chers frères, pendant qu'on peut le trouver, et invoquez-le tandis qu'il est tout près de vous.
C'est donc avec la plus grande ferveur que pendant la présente quarantaine, nous devons rechercher celui qui en fait la meilleure partie, et qui est le mystère figuré par ce saint temps. En conséquence, si notre zèle s'est un peu ralenti pendant le reste de l'année, il est bien qu'il se ranime dans la ferveur de notre esprit. Si nous n'avons péché que par la bouche, que la bouche seule observe le jeûne, mais si tous les autres membres de notre corps ont péché aussi, pourquoi ne jeûneraient-ils point comme elle? Que notre oeil jeûne donc, puisqu'il a porté le ravage dans notre âme, que notre oreille jeûne également, que notre langue, que nos mains, que notre âme elle-même jeûne aussi. Les yeux jeûneront en se privant de tout regard de curiosité et de pétulance, et expieront, en demeurant humblement baissés, tout le mal qu'ils ont fait en se portant librement partout. Les oreilles que le mal chatouille, se sèvreront de fables, de nouvelles, de tout entretien oiseux et de tout ce qui n'a point rapport au salut. La langue se privera de détraction et de murmure, de paroles inutiles, vaines ou bouffonnes, elle se privera également quelquefois, à cause de l'importance de la loi du silence, des choses mêmes qu'il semblerait nécessaire de dire. La main s'interdira non seulement tout signe inutile, mais toute couvre qu'il ne lui est point prescrit de faire. Quant à l'âme, son jeûne, à elle, sera surtout de renoncer à ses vices et à sa volonté propre.

 

Bernard de Clairvaux

Quatrième sermon pour le  carême (extraits)


Puisque l'époque du jeûne quadragésimal est arrivée, je crois bon de vous exposer comment il faut jeûner, et les fruits qu'on doit retirer du jeûne.
J’avance une chose que vous avez bien souvent éprouvée vous-mêmes, si je ne me trompe; c'est que le jeûne nous fait prier avec plus de piété et de confiance. Aussi, voyez comme le jeûne et la prière vont bien ensemble : la prière obtient la force de jeûner, et le jeûne mérite la grâce de prier. Le jeûne fortifie la prière, et la prière sanctifie le jeûne, en même temps qu'elle l'offre à Dieu.

 

Bernard de Clairvaux

Cinquième sermon pour le  carême (extraits)


L'ennemi peut exciter en toi le mouvement de la tentation, mais il ne dépend que de toi de donner ou de refuser ton consentement, bien plus, il ne dépend que de toi d'asservir si bien ton ennemi, que tout, pour toi, coopère au bien. Voici par exemple que ton ennemi allume en toi le désir de la bonne chair, te suggère des pensées d'orgueil ou d'impatience, excite les mouvements de la concupiscence : refuse seulement ton consentement, et toutes les fois que tu le refuseras, tu acquerras une couronne.
Toutefois, on ne peut nier que toutes ces épreuves ne soient pénibles et même dangereuses ; mais pourtant, au plus fort même de la lutte, si nous résistons courageusement, nous sentons dans l'âme la pieuse tranquillité qui vient d'une bonne conscience. Je crois aussi que si nous avons hâte de chasser de notre esprit toutes ces pensées, dès que nous remarquons leur présence, notre âme s'élève contre elles avec une force toute particulière, et l'ennemi, couvert de confusion, se retire loin de nous, et n'est pas disposé à se représenter de sitôt. Mais qui sommes-nous et qu'est notre force pour résister à de pareilles tentations? Voilà précisément ce que cherchait Dieu, voilà où il voulait nous mener, afin que, voyant notre faiblesse, et persuadés que nous n'avons de secours qu'en lui, nous recourrions à sa miséricorde en toute humilité. Aussi, vous prié-je, mes frères, de tenir toujours à votre portée le sûr refuge de la prière.

 

Guerric d'Igny

Premier sermon pour le  carême (extraits)


 « Louons Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ,  le Père des miséricordes, le Dieu qui accorde le réconfort en toute occasion » (2 Co 1,3). « Le fidèle endure de nombreux maux, mais le Seigneur le délivre de tous » (Ps 34,20)» Les maux dont nous souffrons sont de deux sortes, non seulement parce que nous sommes composés d'une double nature, de corps et d'âme, mais encore parce que nous vivons de deux façons en partie dans la chair, en partie dans l'esprit. Dans le monde, nous étions tout charnels, dans le ciel nous serons tout spirituels. Sur la terre, nous sommes en partie charnels et en partie spirituels. Selon les progrès que nous faisons dans la vie de l'âme, nous devenons bien plus spirituels, ou bien, plus spirituels et moins charnels, ou enfin nous restons plus charnels et moins spirituels.
 Nous serons véritablement heureux si nous reconnaissons justement notre misère, si nous sommes livrés à une sainte douleur si nous vivons toujours dans la crainte et la vigilance, à la mort nous serons rassurés.

 

Guerric d'Igny

Sermon pour la deuxième semaine de carême sur la parabole de l’enfant prodigue
 

Ô heureuse humilité des pénitents ! Ô bienheureuse espérance de ceux qui confessent leurs fautes !
Cet enfant prodigue, dont nous avons entendu raconter, pour notre grande édification, le voyage pleins d'ennuis, la pénitence remplie de larmes, et le retour glorieux ; cet enfant prodigue, si gravement coupable, n'avait pas encore avoué sa faute, mais il avait avec raison résolu de la confesser. Il n'avait point encore satisfait, mais il avait incliné son esprit à vouloir satisfaire, et presque par le seul effet de la résolution qu'il avait conçue dans son humilité, il obtint de suite le pardon, ce pardon qu'on sollicite tant de temps avec des voeux si ardents, qu'on implore avec des larmes si abondantes et qu'on sollicite avec des instances si vives. La confession seule procura l'absolution au larron sur la croix, la seule volonté d'avouer sa faute la valut à l'enfant prodigue. « Je t’ai avoué ma faute, je ne t’ai pas caché mes torts. Je me suis dit : je suis rebelle au Seigneur, je dois le reconnaître devant lui. Et toi tu m’as déchargé de ma faute » (Ps 32,5). Ta miséricorde nous prévient   en tous lieux. Elle avait prévenu la volonté de la confession, en l'inspirant elle prévient la voix de la confession, en lui pardonnant ce qu'il avait à accuser. « Lorsqu'il était encore éloigné, dit l’Evangéliste (Lc 15,20), son père l'aperçut et en eut profondément pitié, puis accourant il se précipita à son cou et il l'embrassa. » Selon la force de ces paroles, il tardait plus au Père d'avoir donné le pardon à son fils, qu'au fils de l'avoir reçu. Il se hâtait ainsi de délivrer le coupable du tourment de sa conscience, comme si la compassion pour ce malheureux faisait plus souffrir ce père miséricordieux, que le mal ne faisait souffrir le fils lui-même. Nous ne tenons point ce langage pour mettre dans la nature immuable de Dieu les affections humaines, mais pour inspirer à notre coeur de douces impressions envers cette bonté souveraine, en montrant, par une similitude empruntée à l'humanité, que Dieu nous aime plus que noua ne l'aimons nous-mêmes.
Ô bienheureux pécheur, bienheureux non parce que tu es pécheur, mais parce que tu t'es repenti de ton péché. Quelles étaient, je te le demande, tes impressions dans les embrassements et sous les baisers de ton père, lorsqu'il te ranimait presque désespéré, lorsque te redonnant un coeur pur, il te rendait la joie de son salut ? Et comment, répond-il, les paroles expliqueront-elles ce que l'esprit ne saisit pas ?
Le coeur humain est étroit, aussi quand il est déchiré, il se répand, et, comme il le peut, par les larmes, les gémissements et les soupirs, il laisse exhaler l'ardeur qu'il conçoit, sans la contenir. Ceux qui ont goûté plus souvent et plus abondamment ces impressions, les connaissent parfaitement. Et maintenant, quand, après ces étreintes et ces baisers, laissé à toi-même, tu réfléchis à ton père et à toi, lorsque tu penses à ta conduite et à la manière dont il l'a appréciée, quand tu vois, d'un coté, l'abondance de son péché et d'un autre, la surabondance de la grâce, quelles émotions, je te le demande, cause en toi cette considération
Conserve donc, heureux pécheur, garde avec soin et vigilance cette disposition, ce juste sentiment d'humilité et de péché : aie toujours ces impressions d'humilité par rapport à toi, et d'amour par rapport à la bonté du Seigneur. Il n’y a rien de plus grand dans les dons du Saint-Esprit, rien de plus précieux dans les trésors de Dieu, rien de plus saint parmi toutes les grâces, rien de plus salutaire dans tous les mystères. Garde, si tu veux être gardé toi-même, garde cette humilité de sentiments et de paroles que tu exprimes à ton père en lui disant: « Père, je ne suis pas digne d'être appelé ton fils, fais-moi comme l'un de tes mercenaires. »  Rien n'attire plus le père que le sentiment exprimé par cette parole, jamais tu ne te rendras un digne fils, que si tu continues à avouer ton indignité. Cette humilité justifie non seulement les pécheurs, mais elle consomme les justes, et accroît leur sainteté si, même après avoir accompli tout ce qui leur avait été prescrit, ils se regardent comme des serviteurs inutiles. Que ton péché te soit toujours présent, et, selon le conseil du Sage, ne sois point sans crainte au sujet de la faute qui t'a été pardonnée. Les jugements de Dieu sont cachés et inconnus. Il ne faut point concevoir à leur sujet de présomptions téméraires, alors que nous n'avons rien de plus assuré en ce qui les concerne, sinon qu'en présence de Dieu nul homme vivant ne sera justifié qu'autant qu'il se jugera pécheur. Sa miséricorde t'accueille avec faveur, te protège avec tendresse : crains le jugement, tremble que la grâce donnée à l'humilité ne soit ravie à l'orgueil. Tu avais choisi d'être abaissé dans la maison de ton père, tu étais content de devenir comme l'un de ses mercenaires, persiste dans ce sentiment, afin d'être élevé à des postes plus importants, quand même tu aurais été placé à quelque degré supérieur. Occupe ou désire toujours occuper la dernière place, réclame, non la liberté des enfants, mais la servitude du mercenaire. Éprouve, pour ton père, un tendre dévouement, et reconnais au fond de ton coeur ce qu'il a hérité de sa part. Contente-toi de l'humilité et du travail du mercenaire, en te rappelant ce que tu as mérité de ton côté. De quelques vertus que tu paraisses orné, quelques services que tu sembles rendre à ton père, ne te départis jamais de l’humilité par laquelle tu es parvenu à lui plaire et sans laquelle tu lui seras désagréable. Car l'humilité est la plus grande de toutes les vertus, bien qu'elle ignore qu'elle est une vertu. Elle est la racine, la semence, le foyer et la vigueur de presque toutes les vertus, elle en est le comble, la garde et la règle. Elles commencent par elle, par elle, elles progressent, elles sont consommées en elle, et sont conservées par elle. Et comme elle donne à toutes les vertus d'être vertus, si quelqu'une d'elles vient à manquer ou à être moins parfaite, progressant à son défaut, elle donne de son fonds de quoi compenser ce qu'elle ne fournit pas.

 

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