Marthe et Marie — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Marthe et Marie

Evangile et peinture

L’Evangile nous présente une scène non pas de la vie publique de Jésus, mais de sa vie privée : une rencontre avec des personnes dont un autre évangéliste nous apprend que Jésus les aimait (Jn 11,5).

Dom André Louf ocso. Homélie pour la fête de Marthe et Marie. (29/07/20) Lc 10,38-42.

L’Evangile nous présente une scène non pas de la vie publique de Jésus, mais de sa vie privée : une rencontre avec des personnes dont un autre évangéliste nous apprend que Jésus les aimait (Jn 11,5). Bien que les paroles qui y sont dites ne semblent pas destinées à être rendues publiques, Luc a voulu rompre cette réserve, sans doute parce qu’i leur attachait une particulière importance. Nous connaissons bien ces paroles. A la maîtresse de maison, Marthe, qui se dévoue pour accueillir dignement son hôte et qui se plaint de l’inaction de sa sœur, prosternée aux pieds de Jésus et fascinée par ses paroles, Jésus répond avec des paroles devenues célèbres : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

 

Dans ces deux femmes, toutes deux amies de Jésus, la tradition n’a pas tardé à reconnaître deux façons d’accueillir Jésus et de s’occuper de lui : l’une active et engagée dans le ministère, l’autre qu’on appellera bientôt « contemplative », tout absorbée dans l’écoute de sa Parole. Saint Augustin, par exemple, attribue le rôle de Marthe à tous les croyants aussi longtemps qu’ils se trouvent ici-bas, et relègue celui de Marie dans le ciel, après leur mort. Au Moyen Âge latin, on distinguera deux styles de vie qui différencient les croyants dès leur vie sur la terre. Pour saint Bernard, par exemple au XIIème siècle, des Marthe et Marie sont présentes dans chaque monastère. Marthe ce sont ceux qui portent des responsabilités au service des autres ; Marie ce sont les frères qui jouissent du loisir pour se consacrer à la lectio et à la prière. Saint Bernard fait d’ailleurs remarquer, non, sans une pointe d’ironie, qu’en son temps les rôles sont renversés : ce sont plutôt les Marie qui se plaignent désormais des Marthe, et qui souhaiteraient comme elles, être engagées dans un ministère. Plus tard encore, toujours en Occident, on désignera, un peu artificiellement, par « vie active » et « vie contemplative » deux styles de vie juridiquement précisés, hermétiquement clos d’ailleurs, et il sera désormais difficile de passer de l’un à l’autre. Puisqu’une bonne partie de cet auditoire est constitué de moniales et de moines, il nous est probablement déjà arrivé, comme à moi, de nous féliciter de cette appartenance légale à la « meilleure part ». Belle et charmante illusion !

 

En effet, si on regarde de plus près cette réponse de Jésus à Marthe, il n’est nullement évident que Jésus ait voulu opposer entre elles deux catégories de croyants. Il ne désapprouve pas Marthe : il lui est trop reconnaissant de la peine qu’elle prend pour le recevoir dignement. Il s’étonne seulement de sa nervosité et lui suggère qu’un autre choix est possible, et que ce choix dépend d’elle, de chacun de nous ; que nous sommes pleinement responsables et que nous n’avons jamais le droit de récriminer contre ceux qui ont eu la bonne fortune de faire un autre choix. Marthe n’avait pas tort de choisir le service. Jésus n’a-t-il pas dit lui-même, ailleurs dans l’Evangile, que la moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux (Lc 10,2) ? Mais il lui était possible de faire un autre choix, et c’est ce qu’il voulait faire comprendre délicatement. Tel est le sens de sa réponse à première vue étonnante : « Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera pas enlevée. » Dans l’Evangile c’est en général Dieu ou Jésus qui choisissent, et nous qui sommes choisis. Mais quand il s’agit de la meilleure part, Jésus nous laisse l’initiative et le choix. Et il sous-entend en s’adressant à Marthe : « Toi aussi, tu pourrais faire le même choix si tu voulais. »

 

Il nous est sans doute maintes fois arrivé d’avoir été confronté à un choix analogue. Et comme il fallait s’y attendre, nous avons souvent fait le mauvais choix, ou plutôt le choix moins bon, et toujours pour des motifs parfaitement valables. Jésus ne nous le reproche pas. Il rit peut-être dans sa barbe, et il attend son heure. Il nous connaît et il sait bien qu’en règle générale, il nous faut d’abord faire un certain nombre de fois le mauvais choix avant d’être à même de faire bon et d’être entraînés par lui dans cette « meilleure part » qui ne nous sera jamais enlevée.

 

                                                                                           La liturgie du cœur –                                                                  Méditations à Sainte-Lioba tome 3 Editions Salvator