Eloge de l'imperfection — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Eloge de l'imperfection

Eloge de l'imperfection

L’évangile présente le pharisien comme faisant partie de « ceux qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres »...

André Louf ocso : Sermon extrait de « La liturgie du cœur » Tome 3 Salvator (Lc18,9-14)

     L’évangile présente le pharisien comme faisant partie de « ceux qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres ». En effet, le pharisien est convaincu qu’il n’a rien à se reprocher et qu’en toute circonstance il a comme on dit, « fait de son mieux ». Au point que, lorsqu’il se met à prier, il éprouve le besoin de rappeler à Dieu le juste exemplaire qu’il pense être, et même de l’en féliciter : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain. » Et il continue son oraison en déclinant la litanie impressionnante de ses œuvres vertueuses.

   « Comme ce publicain… » En apercevant celui-ci qui se tenait en retrait au fond du Temple, notre pharisien a dû avoir un haut-le cœur : voici exactement le genre d’individus qu’il déteste, comme il pense que Dieu les déteste, et qu’il ne voudrait surtout pas être.

   Si le pharisien a récité son action de grâces à haute voix, ce qui conviendrait d’ailleurs bien à son personnage, le publicain a dû l’entendre, et le récit des bonnes œuvres de ce juste présumé a dû lui rappeler à quel point il était différent de lui, comment il n’était qu’un pauvre pécheur, n’ayant même plus le droit de s’avancer dans le temple ni de lever les yeux au ciel. Une telle prise de conscience aurait pu le décourager, ou même le jeter dans le désespoir, et lui enlever à tout jamais l’audace et jusqu’à la simple envie de prier. Il n’en est plus digne.

   Et cependant il n’en est rien. Pécheur tel qu’il se reconnaît, il ose cependant prier, et il trouve même spontanément, à partir du plus profond de sa détresse morale, le geste et les paroles qui toucheront le cœur de Dieu. « Il se frappait la poitrine en disant : Mon Dieu, prend pitié du pécheur que je suis ! » Parce que Dieu n’attend pas nos œuvres dont nous pourrions nous glorifier, mais seulement notre confiance éperdue dans son amour. Le pharisien, au contraire, met sa confiance dans les exploits d’une observance rigoureuse. Mais ce faisant, il n’a plus besoin de l’amour de Dieu, et encore moins de sa miséricorde. Il embarrasse d’ailleurs Dieu au plus haut point : Dieu ne sait comment faire avec ceux qui n’ont plus besoin de lui. Avec le publicain, au contraire il est à l’aise : celui-ci n’a pas d’exploits à lui présenter. Il se contente d’étaler son péché devant le regard de Dieu, et d’attendre que lui prenne l’initiative, qu’il daigne répandre sur lui sa miséricorde. Le péché blesse Dieu et le fait souffrir, sûrement, mais il ne le paralyse pas. Au contraire, dès qu’il est confessé, Dieu se précipite pour le pardonner. Les œuvres de notre justice à nous, en revanche, risquent d’empêcher Dieu d’intervenir. Dieu n’est pas là pour nous applaudir, mais pour nous pardonner, guérir, relever, reconstruire. Comme Jésus le disait lui-même : « Il est venu non pour les justes, mais pour les pécheurs » (Mc 2,17)

   Il ne nous est pas toujours facile de nous ranger du côté des publicains. Inconsciemment nous nous sentons bien davantage en sécurité du côté de ceux qui se croient justes, ou qui s’efforcent de le devenir à tout prix. Alors que Dieu s’ingénie souvent, très secrètement et de mille façons, à nous faire prendre conscience de notre besoin immense de son amour qui est toujours miséricorde, des suites du péché qui, à notre insu, affectent nos œuvres les plus généreuses.

   On raconte d’une supérieure générale d’une importante famille religieuse, qui, à l’heure de son agonie, se montrait inquiète, qu’elle répondit à qui lui demanda la raison de son trouble : « parce que je ne suis pas une sainte. » Et que celui qui l’assistait crut bien de la tranquilliser en lui rappelant qu’elle avait quand même « toujours fait de son mieux ». Bien maigre consolation, toute païenne, et pas évangélique du tout. A cette supérieure générale, n’aurait-il pas suffi de conseiller de formuler la prière du bon larron, pour être assurée de son salut ? Mais il évidemment difficile pour une supérieure générale de se mettre à la place du bon larron, et d’apprendre enfin, que, comme l’affirmait Jésus, les publicains et les prostituées nous précèdent dans le Royaume (Mt 21,31)