La Toussaint — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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La Toussaint

Evangile et peinture

La Toussaint … Bernard de Clairvaux


La fête de tous les saints que nous solennisons aujourd'hui mérite d'être célébrée avec un grand empressement spirituel.

Bernard de Clairvaux

Premier sermon pour la fête de la Toussaint (extraits)

 

La fête de tous les saints que nous solennisons aujourd'hui mérite d'être célébrée avec un grand empressement spirituel. En effet, si la fête de saint Pierre, de saint Étienne, ou de tout autre saint nous parait grande, et l'est en effet, combien plus grande doit être pour nous celle d’aujourd'hui, puisque au lieu d'être la fête d'un seul saint, elle est la fête de tous les saints. Vous n'ignorez pas, mes frères, que les gens du monde célèbrent leurs fêtes par des festins mondains, et que plus la solennité est grande plus aussi ils font bonne chère. Eh quoi donc ? Ne faut-il pas aussi que ceux qui se sont convertis dans leur cœur recherchent les délices du cœur ? Les gens spirituels ne doivent-ils pas aussi rechercher des joies spirituelles ? Aussi, mes frères, notre festin est-il préparé, tout est cuit, et le temps de nous mettre à table est arrivé. Il est juste que nous commencions par les festins de l'âme puisque, sans l'ombre d'un doute, elle l'emporte sur le reste de notre être, et qu'elle est sans comparaison la meilleure partie de nous-mêmes. D'ailleurs, il est de toute évidence que la fête des saints se rapporte bien plus à l'âme qu'au corps. Or, les âmes reçoivent avec plus de profit ce qui a rapport à l’âme en raison d’une affinité naturelle. Voilà pourquoi aussi les saints compatissent beaucoup plus aux âmes, désirent davantage le bien des âmes et se complaisent plus dans leur réconfort ce qui fait leur bonheur. Ils ont été comme nous, sujets à la souffrance, comme nous ils ont eu à déplorer les peines de notre voyage et de notre misérable exil, et à éprouver le poids accablant de ce corps, le tumulte du siècle, et les tentations de l'ennemi. On ne saurait donc mettre en doute que cette solennité leur plaira et leur conviendra bien davantage si elle a pour but de nourrir les âmes, que celle que les mondains célèbrent, en donnant plus de soins à satisfaire les convoitises de la chair. (Rm 13,14).

 

Mais où trouverons-nous le pain des âmes dans cette terre déserte, dans ce séjour d'horreur, dans cette solitude? Où procurer le pain spirituel, sous le soleil où ne se trouve que travail, douleur et affliction d'esprit ? Mais je sais quelqu'un qui a dit : «Demandez et vous recevrez. (Jn 16,24)» et ailleurs : « Si donc vous autres, tout méchants que vous êtes, vous savez néanmoins donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison, votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il le bon esprit à ceux qui le lui demandent (Lc. 11,13).

 

Bernard de Clairvaux

Cinquième sermon pour la fête de la Toussaint (extraits)

 

C'est fête aujourd'hui pour nous, et la solennité de ce jour compte parmi les plus grandes solennités. Que dis-je ? De quel apôtre, de quel martyr, de quel saint est-ce la fête? Ce n'est pas la fête d'un saint en particulier, mais la fête de tous les saints, car personne de nous n'ignore que cette fête est appelée, et est, en effet, la fête de tous les saints, oui, de tous, non seulement des saints du ciel, mais encore de ceux de la terre; car il y a les saints du ciel et les saints du la terre, et même parmi ces derniers, lus uns sont encore sur la terre, tandis que les autres se trouvent déjà dans le ciel. On fait donc en commun la fête de tous ces saints-là, mais ne la fait-on pas tout à fait de la même manière. Après tout, il ne faut pas s'en étonner, puisque la sainteté des uns n'est pas celle des autres, et qu'il y a une différence quelque fois même très grande entre un saint et un autre saint. 

 

 Il est certain que les saints sont appelés saints et cela avec vérité, les uns dans un sens et les autres dans un autre. Ainsi, on pourrait peut-être assigner entre les anges et les hommes une différence de sainteté, à laquelle correspondrait une pareille différence de solennité dans la fête. En effet, il ne semble pas qu'on puisse honorer comme des athlètes triomphants ceux qui n'ont jamais combattu, et pourtant, pour mériter un culte différent, ils n'en sont pas moins dignes des plus grands hommages, puisqu'ils sont tes amis, ô mon Dieu, et qu'ils ont toujours été attachés à ta volonté avec autant de félicité que de facilité. Après tout, peut-être pourrait-on croire qu'ils ne sont point sans avoir soutenu des combats. Aussi, quand ils ont résisté à ceux d'entre eux qui ont péché, et que, au lieu de se ranger du parti des impies, chacun d'eux s'est écrié : Pour moi, il m'est bon de rester attaché à Dieu. Ce qu'il faut célébrer en eux, c'est donc la grâce qui les a prévenus des douceurs de la bénédiction ; ce qu'il faut honorer, c'est la bonté de Dieu qui les a, je ne dis point, amenés à la pénitence, mais détournés de tout ce qui doit amener la pénitence, qui les a, non point arrachés à la tentation, mais préservés de la tentation.

Chez les hommes, il y a un autre genre de sainteté qui mérite des honneurs à part ; c'est la sainteté de ceux qui viennent de la grande épreuve et qui ont lavé et blanchi leurs robes dans le sang de l'Agneau (Ap 7,14) et qui triomphent enfin après bien des luttes et reçoivent la couronne de la victoire dans les cieux, parce qu'ils ont combattu les légitimes combats. Y a-t-il encore une troisième sorte de saints? Oui, mais ils sont cachés. Ce sont, ceux qui militent encore, qui combattent toujours, qui courent dans la carrière et n'ont point encore obtenu le prix.

 L'Apôtre, à qui Dieu avait révélé ses secrets, a dit aussi en termes non moins clairs « Nous savons que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qu'il a appelés selon son décret pour être saints (Rm 8,28). » Voilà donc comment le mot saint se trouve différemment employé, et désigne tantôt ceux qui sont consommés dans la sainteté, tantôt ceux qui ne sont encore que prédestinés à la sainteté.

Que la fête de ces saints se passe donc dans le cœur de Dieu, puisque Dieu sait qui sont ceux qui lui appartiennent et qu'il a choisis dès le principe ; qu'elle se passe aussi parmi ces esprits qui tiennent lieu de serviteurs et ministres et qui sont envoyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut (He 1,14). Quant à nous, il nous est défendu de louer un homme tant qu'il vit. Comment, en effet pourrions-nous le louer sans crainte de nous tromper, quand il est manifeste que la vie même n'est pas sûre?

 Mais à quoi bon les louanges que nous adressons aux saints, à quoi bon célébrer leur gloire et faire parmi nous leur fête ? Pourquoi prodiguer les honneurs de la terre à ceux que, selon la promesse véridique du Fils, le Père céleste honore lui-même ? Qu'ont-ils besoin de nos félicitations ? Ils ont tout ce qu'ils peuvent contenir de gloire. C'est vrai, mes bien-aimés, les saints n'ont pas besoin de nos honneurs, et notre dévotion n'ajoute rien à ce qu'ils ont. Mais il y va de notre intérêt, sinon du leur, que nous vénérions leur souvenir. Voulez-vous savoir quel avantage nous avons à leur rendre nos hommages ? Je vous avouerai que pour moi, leur mémoire fait naître en moi un violent désir, un triple désir. On dit vulgairement loin des yeux, loin du cœur. Or, mon œil à moi, c'est ma mémoire, et me rappeler le souvenir des saints, c'est en quelque sorte pour moi, les voir. Voir comment notre lot se trouve dans la terre des vivants, et ce n'est pas un lot médiocre, si toutefois le souvenir, en nous, ne marche point sans la charité. Oui voilà, dis-je, comment notre vie se trouve transportée dans les cieux, non point, toutefois, de la même manière que la leur s'y trouve à présent. En effet, ils s'y trouvent en substance et nous n'y sommes qu'en désir. Ils y sont effectivement présents, nous ne nous y trouvons que par le souvenir. Quand nous sera-t-il donné de nous réunir aussi à nos pères ? De leur être présentés en personne ? Tel est le premier désir que la mémoire des saints éveille ou tout au moins fait naître en nous. Quand jouirons-nous de leur société si désirable, quand serons-nous dignes d'être les concitoyens, les familiers des esprits bienheureux, d'entrer dans l'assemblée des patriarches, de nous unir au groupe des prophètes, au sénat des apôtres, aux innombrables bataillons des martyrs, aux confesseurs, et aux chœurs des vierges, en un mot, et de nous réjouir en commun dans la troupe entière des saints ?

Le souvenir de chacun d'eux, comme autant d'étincelles, ou plutôt comme autant de torches ardentes, allume les cœurs dévots et leur inspire une soif dévorante de les voir et de les embrasser, tellement qu'il n'est, pas rare qu'ils se croient déjà au milieu d'eux, et qu'ils entrent dans l'assemblée entière des saints, où ils s'élancent de toute l'ardeur et de toutes les forces de leur cœur, tantôt vers les uns et tantôt vers les autres. D'ailleurs quelles ne seraient pas notre négligence et notre paresse, notre lâcheté même, de ne point nous élancer, comme une flèche qu'on décoche, de ce monde par de fréquents soupirs, et avec toute la ferveur de la charité, vers ces heureux bataillons ? Malheur à nous à cause du péché, que l'Apôtre reprochait aux gentils, quand il les reprenait parce qu'ils étaient sans affection (Roui. 1, 31).

L'Église des premiers-nés nous attend, et nous négligeons d’aller rejoindre les saints qui nous appellent, et nous n'en tenons aucun compte. Réveillons-nous enfin, mes frères, ressuscitons avec le Christ, cherchons, goûtons les choses d'en haut. Désirons ceux qui nous désirent, courons vers ceux qui nous attendent, que nos cœurs tendent par leurs vœux, vers ceux qui les appellent. Dans là vie que nous partageons ensemble ici-bas maintenant, il n'y a ni sécurité, ni perfection, ni repos, et pourtant combien ne nous est-il pas doux et bon d'habiter en commun avec nos frères ? En effet nous arrive-t-il quelque chose de fâcheux, soit dans le corps, soit dans l'âme, il nous est plus facile de le supporter dans la société de nos frères, avec qui nous n'avons en Dieu qu'un cœur et qu'une âme. Combien plus douce, plus délicieuse et plus heureuse est l'union, que nul soupçon ne trouble, que nulle dissension n'altère, qui nous réunira par les liens indissolubles de la charité parfaite ? Et qui fera que nous ne serons plus qu'un dans le Père et dans le Fils, comme le Père et le Fils ne forment qu'un aussi.