Pour nous, nulle apparition d'ange venant du ciel.... — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Pour nous, nulle apparition d'ange venant du ciel....

Pour nous,
nulle apparition d’ange venant du ciel …

19 mars Fête de saint Joseph

Mt 1,18-21 Voici de quelle manière arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ...

Pour nous, nulle apparition d’ange venant du ciel …

19 mars Fête de saint Joseph                                                                                                  

 Mt 1,18-21

18 Voici de quelle manière arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par l'action du Saint-Esprit. 19 Joseph, son fiancé, qui était un homme juste et qui ne voulait pas l'exposer au déshonneur, se proposa de rompre secrètement avec elle. 20 Comme il y pensait, un ange du Seigneur lui apparut dans un rêve et dit : « Joseph, descendant de David, n'aie pas peur de prendre Marie pour femme, car l'enfant qu'elle porte vient du Saint-Esprit. 21 Elle mettra au monde un fils et tu lui donneras le nom de Jésus car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »

 

Nous allons faire porter notre méditation sur le texte d’Ecriture que l’église nous propose en cette fête d’aujourd’hui. Il s’agit de quatre versets tirés du premier chapitre de saint Mathieu. Nous les connaissons, nous les avons déjà souvent entendus et médités. Ce récit nous est déjà connu à partir de l’Histoire Sainte enseignée à l’école. Et pourtant, si familier qu’il nous paraisse, il présente une grande difficulté, non pas dans son sens théologique profond, mais simplement dans ce qu’on y relate, concernant les évènements extérieurs survenus dans la vie de saint Joseph et de la Très Sainte Vierge. Nous ne pourrons pas résoudre, à proprement parler, cette difficulté. Le texte nous demeure obscur. Mais peut-être cette obscurité nous conduira-t-elle néanmoins, si nous la scrutons plus attentivement, à adopter une conception qui approfondit le texte et qui n’est pas non plus sans importance dans notre vie.

Voici comment habituellement nous interprétons ce récit : Joseph n’était certes pas sans remarquer quelques indices manifestant que Marie était enceinte, mais il n’arrivait pas à s’expliquer cette situation ; Marie gardait le silence sur ce que l’ange lui avait dit et sur ce qui s’était produit en elle par l’action du Très-Haut ; Joseph ne savait que faire et c’est précisément pourquoi il ne croyait plus voir d’autre issue que de renvoyer Marie, bien qu’elle fût sa fiancée. C’est une solution possible, mais on ne peut pas dire que le texte nous oblige à cette unique interprétation. Car il est écrit d’abord que Marie se trouva enceinte par l’intervention du Saint Esprit. D’où le savait-il ? Mais de Marie précisément- c’est du moins ce qu’on peut en conclure- et nous pouvons nous demander : pourquoi donc faudrait-il que Marie n’ait même pas dit à Joseph ce qui lui était arrivé : cette céleste apparition et cette action de la grâce de Dieu en elle ? Pourquoi n’aurait-elle pas dû le dire à Joseph, son fiancé, elle qui obéissait à Dieu dans la paix et la fidélité ? Pouvait-elle compter et comptait-elle que Joseph l’aurait appris par ailleurs ? Comment aurait-elle pu tout bonnement compter qu’un messager céleste viendrait aussi prévenir Joseph, alors qu’elle pouvait le lui dire elle-même et que c’était bien plus simple ? Mais si Joseph sait de quelle céleste merveille sa fiancée a fait l’objet, pourquoi pourrait-il encore en venir à l’idée à l’idée de la renvoyer et de la renvoyer secrètement ? Nous pourrions aussi nous demander inversement : comment pourrait-il, lui qu’on appelle ici « un homme juste » et donc un homme fidèle à la Loi, comment pourrait-il la renvoyer secrètement, s’il ne savait pas qu’elle avait conçu son enfant par l’intervention divine ? Car au fond selon la Loi, comme il est écrit dans le Deutéronome au chapitre 22, il devrait la traiter comme une femme adultère. Si donc nous devons conclure : non, il ne devait pas le savoir et le texte dit même qu’il l’a su-alors pourquoi voulait-il la renvoyer ?

Peut-être pour les raisons suivantes : il se sentait et il devait se sentir pour ainsi dire exclu de ce mystère qui s’était joué entre Marie et le ciel. Elle était en quelque sorte au pouvoir de Quelqu’un de supérieur, Dieu lui-même se la réservait ; c’est pourquoi Joseph croyait, c’est du moins ce que nous pouvons penser, qu’il ne pouvait plus en aucune façon avoir quelque prétention sur elle, et c’est pourquoi il songeait à la renvoyer secrètement.

Si nous comprenons ce texte ainsi -en tout cas c’est aussi une façon possible de comprendre un texte obscur et susceptible de deux interprétations- alors le message du Ciel et l’ange qui en songe s’adresse à Joseph reçoivent un sens tout nouveau et tout différent. Le Ciel ne se contente pas de faire savoir à Joseph que Marie a conçu son enfant par l’intervention de Dieu- encore que le songe céleste confirme aussi ce fait, que Joseph avait déjà appris de Marie- mais le message essentiel tient en ceci : « Prends néanmoins Marie chez toi ». Sois donc, lui dit le Ciel, un père pour cet enfant, remplis les devoirs d’un père pour cet enfant, dont le Ciel a gratifié ta fiancée. Garde, défends, aime, protège cet enfant. Telle est donc la mission que Joseph se voit confier par le Ciel lui-même. Il est donc, peut-on dire, le père nourricier et le gardien de l’enfant non seulement en raison du fait que son épouse a conçu un enfant par l’intervention du Ciel, mais parce que Dieu lui-même voulait qu’il tienne lieu de père au Fils de Dieu, qui est venu pour le salut du monde. C’est pourquoi Joseph reçoit l’ordre de donner le nom de l’enfant, c’est pourquoi Joseph se voit attribuer le titre : Fils de David, car il importait que Jésus soit connu et reconnu comme Fils de David, fait qui n’était évident que si son père terrestre était fils de David, de la race royale de David. Par conséquent, c’est la conclusion que nous pouvons tirer de ce texte, le Ciel confie à saint Joseph le Sauveur du monde. Ainsi donc, par un message céleste, Joseph lui-même fait son entrée dans la grande Histoire publique et officielle du salut. Il appartient à cette Histoire du salut non seulement à titre privé, en raison de sa relation de fiancé, puis d’époux de Marie, mais il y reçoit une charge, une fonction. Il est le protecteur et le gardien du Fils de Dieu, chargé directement de cette mission et non pas seulement du simple fait qu’il entre dans ces relations avec l’Enfant divin, pour ainsi dire par le hasard de ses fiançailles avec Marie.

Nous aussi, nous sommes souvent appelés à être les gardiens du Sacré, en nous-mêmes, dans notre vie, dans notre travail. Apparemment, il n’entre là en jeu que des choses de la vie quotidienne, qui n’ont rien de commun avec l’Histoire Sainte du Royaume de Dieu et du salut du monde. Apparemment nous ne faisons que nouer les humbles liens et relations de la vie, de nos connaissances, de notre profession, mais c’est justement là que nous sommes au fond ceux que Dieu appelle à assurer la garde de ce qui est sacré, de ce qui est grand, de la grâce de Dieu en nous et autour de nous. Et qui ne se voit pas confier aussi la garde d’enfants de Dieu, à l’école, dans sa famille, dans son quartier ? Nous n’avons pas d’apparition d’un ange venant du ciel, nous n’entendons pas de voix céleste nous dire dans un songe : Prends l’enfant chez toi. Et pourtant nous aussi, à travers des évènements purement terrestres en apparence, Dieu nous confie ce qui est proprement céleste et divin, la grâce de Dieu dans notre propre cœur et dans notre milieu terrestre. Dans tous ces évènements, le Fils de Dieu qui devint homme continue de vivre sa vie, et à nous tous se pose la question de savoir si, dans la garde de ce Fils de Dieu que nous rencontrons dans les autres, nous serons trouvés aussi fidèles que Joseph, dont il est dit : il fut fidèle, il prit chez lui l’Enfant et sa mère, il le garda pendant toute sa vie, afin qu’il pût devenir vraiment le Sauveur et le Salut du monde.

 

                                                      Karl Rahner, Homélies bibliques p 9-12. Salvator 2001