Emmanuel -Dieu avec nous-
A travers tout l’Ancien Testament, les psaumes en particulier, avait résonné le cri : « Montre-nous ton visage, et nous serons sauvés » Ps 79,20) ; « Que ton visage s’éclaire pour nous » (Ps 66,2). Jusque-là, Dieu, le Très-Haut, l’Eternel, celui dont on ne prononçait même plus le Nom, était seulement audible ; le peuple élu n’avait fait qu’entendre sa voix, une voix souvent mêlée au tonnerre et aux éclairs, et qui faisait peur. Le Très-haut n’était pas visible, sauf sous l’apparence fugitive de quelques messagers de passage, d’un ange. Car « personne, affirmait l’Ecriture ne peut voir Dieu sans mourir » (Ex 33,20).
De temps à autre cependant, des prophètes avaient laissé entendre qu’un jour Dieu se rendrait aussi visible, dans un mystérieux enfant, Emmanuel- « Dieu avec nous » -, ou dans cette prophétie d’Isaïe que nous avons entendue dans la première lecture, décrivant les veilleurs sur les murs de Jérusalem, poussant des cris de joie, parce qu’ils croient voir le Seigneur face à face, revenant à Sion…
L’Evangile que nous venons d’entendre nous l’a répété encore une fois sous la plume de Jean. Alors que les autres évangélistes font débuter leur récit par la naissance de Jésus sur terre, pour décrire ensuite comment les apôtres et les foules découvriront progressivement son identité divine, Jean commence d’emblée par sa naissance, avant le temps, dans le sein du père, pour finir par annoncer que ce Verbe, qui de toute éternité était auprès de Dieu et qui était Dieu lui-même, s’était fait chair et avait dressé sa tente parmi nous. Et Jean résume l’expérience personnelle qu’il avait eue du temps où il le fréquentait en disciple bien-aimé : « Et nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » Ici encore : il s’agit de la gloire et de la plénitude de Dieu qui se sont incarnées dans un homme. Et Jean insiste, car c’est bien pour nous qu’il est venu : « Oui, de cette plénitude nous avons tous reçu, et grâce après grâce. » Et ébloui par cette divine surprise, il rappelle une parole de l’Ancien Testament, que tout juif connaissait : « Nul n’a jamais vu Dieu », mais c’est pour ajouter : « Le Fils unique, celui qui est blotti dans le sein du Père, lui l’a fait connaître. »
Cet éblouissement ne quittera plus jamais le disciple bien-aimé, et le rendra particulièrement perspicace pour discerner, dans cet homme Jésus, et dans ses comportements apparemment les plus ordinaires et les plus insignifiants, de véritables signes, des traces de Dieu, le Verbe. Il le rappellera encore au début de sa première lettre, avec des paroles inoubliables, qui résument admirablement le mystère de Noël : « Ce qui était dès le commencement-le Verbe- ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie -c’est Jean qui parle ici, lui qui avait reposé sur la poitrine de Jésus à la dernière Cène- nous l’avons vu, nous en rendons témoignage, et nous vous annonçons cette vie éternelle, qui était blottie dans le sein du Père et qui nous est apparue » (1 Jn 1,1-2). Dieu non plus seulement audible, comme jadis, dans le tonnerre et les éclairs, mais désormais visible dans un homme. Dieu non seulement redoutable et lointain, mais souverainement aimable et étonnamment proche. Dans l’incarnation du Verbe, une page de l’histoire sainte est tournée, et une autre page doit être écrite. Le Fils de Dieu a déjà rempli la sienne, comme l’a rappelé dans la deuxième lecture, l’auteur de la Lettre aux Hébreux : « Ayant accompli la purification des péchés- lors de sa Pâque- il s’est assis à la droite de la majesté de Dieu, devenu d’autant supérieur aux anges que le Nom qu’il a reçu en héritage est incomparable au leur. » Il s’agit du Nom qui est au-dessus de tout Nom, celui de Kyrios-Seigneur-, le Nom propre de Dieu.
Il nous reste, à chacun de nous, d’y ajouter notre page personnelle, en marchant sur les traces de Jésus, du Dieu fait homme, car, comme le précise encore le même saint Jean, « tel que lui était, tels sommes-nous en ce monde ». Dieu fait homme n’est pas seulement aimable, il est encore devenu imitable. Il suffit alors de regarder, d’apprendre de lui qu’il est doux et humble cœur, qu’il est proche des enfants, des pauvres et des pécheurs et de reconnaître en lui l’Amour parce qu’il a donné sa vie pour nous, et perce qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses frères.
Dom Louf ocso, Méditations à sainte Lobia
