Action-contemplation L'exemple de saint Bernard — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Action-contemplation L'exemple de saint Bernard

Action – contemplation L’exemple de saint Bernard


Frère Gérard OCSO

Saint Bernard de Clairvaux est connu pour son engagement déterminé dans l’Église ou dans le monde politique : il pouvait interpeller tous les grands du monde ou de la hiérarchie ecclésiastique de son temps...

                                       Action – contemplation                                        L’exemple de saint Bernard

 

               

Frère Gérard OCSO  Homélie pour la fête de saint Bernard

 

Saint Bernard de Clairvaux est connu pour son engagement déterminé dans l’Église ou dans le monde politique : il pouvait interpeller tous les grands du monde ou de la hiérarchie ecclésiastique de son temps. C’est également grâce à lui surtout que s’est développé l’ordre cistercien. De cela, tout le monde parle, et on ne saurait rien dire de vraiment nouveau.

Mais il est un autre point de sa vie sur lequel on pourrait s’interroger. Peut-on affirmer que son existence si particulière fut un modèle de vie monastique qui pourrait nous inspirer encore aujourd’hui ? Certains, même parmi les moines cisterciens, sont allergiques à ses écrits, mais on doit admettre qu’ils ont toujours connu une grande diffusion et que beaucoup, de nos jours encore, les apprécient. Pour nous, au xxie siècle, quelles leçons pouvons-nous en tirer pour notre vie spirituelle, pour notre vie monastique ?

Au début du sermon 83 sur le Cantique, Bernard affirme devant ses moines : « Toute âme, même chargée de péchés, enveloppée de vices […], accablée d’affaires […] toute âme, même damnée et désespérée, peut cependant trouver en elle-même non seulement de quoi respirer dans l’espérance du pardon et de la miséricorde, mais aussi l’audace d’aspirer aux noces du Verbe, de conclure sans peur un traité d’alliance avec Dieu. » (SCt 1, 1 ; SC 511, p. 341-343). Toute âme, toute personne, peut donc désirer non seulement le pardon et la miséricorde de Dieu, mais aussi nouer avec le Verbe de Dieu des relations si intimes qu’on peut les comparer à celles des époux entre eux ; ce contact n’est pas réservé à une quelconque élite de moines parfaits ; chacun peut désirer fermement y parvenir. Lorsque nous sommes plongés dans les difficultés ou les problèmes quotidiens, il n’est pas évident d’avoir le réflexe de lever les yeux en direction du but ; or, en toutes choses, il nous faut considérer la fin que nous poursuivons. Elle n’est pas différente de celle de tout chrétien : c’est la vie avec Dieu, la vie éternelle. La règle de saint Benoît le rappelle d’ailleurs à plusieurs reprises : Dieu, notre Père, veut donner leur héritage à ses fils s’ils consentent à le suivre à la gloire (cf. Prol 6-7) ; ceux qui veulent suivre le Christ jusque dans la vie éternelle auront part à son royaume (cf. Prol 42, 50 ; 72, 12). Et, en toute finale de la Règle, optimiste comme il est, Benoît ose même prédire à celui qui s’engage dans la vie monastique : « À ces sommets de vertus et de doctrine, [à la vie avec Dieu,] tu parviendras. » (73, 9).

Bernard se situe dans la même ligne que la Règle, mais il précise de quelle manière nous pouvons être unis à Dieu. Pour cela, il utilise largement le thème du mariage spirituel. Non pas un mariage de l’âme humaine avec l’homme Jésus, ce qui pourrait prêter à beaucoup d’ambiguïtés, mais un mariage entre l’âme humaine, ou un être humain, et le Verbe de Dieu. Bernard croit que cette union est possible à tout homme, à toute femme, quel qu’il soit, et donc aussi à nous qui participons aujourd’hui à cette Eucharistie. Telle est la première leçon que nous pouvons tirer des enseignements de l’abbé de Clairvaux : nous sommes promis à l’union avec Dieu, non seulement dans l’au-delà, mais même dès cette vie ; nos ambitions doivent être à la hauteur de la miséricorde de Dieu pour nous, c’est-à-dire démesurées.

La seconde leçon en est comme un complément. Si Bernard a su parler si bien de la vie avec Dieu, c’est évidemment qu’il en avait l’expérience. En ce domaine, rien ne remplace le vécu personnel, pas même la facilité de s’exprimer pour convaincre l’auditeur. Or, en même temps qu’un contemplatif, on ne peut nier que Bernard fut un grand actif, souvent absent de sa communauté, dans des voyages qui n’ont rien à voir avec les nôtres, pour les affaires de sa communauté ou de son Ordre, mais aussi pour bien d’autres raisons, qui parfois sont loin des préoccupations d’un moine ordinaire. Pouvons-nous penser que l’abbé attendait d’être de retour à Clairvaux pour mener la vie monastique, pour vivre la prière, pour être uni à son Seigneur, comme une épouse à son époux ?

Bernard a vécu les deux ensemble. Occupé avec les affaires du monde, il vivait, en même temps, et à un autre niveau, une intense relation avec Dieu. Dans ma jeunesse monastique, j’ai entendu un frère me dire, un jour : « Pour l’instant, je m’occupe de l’ascèse ; la vie contemplative, je verrai plus tard. » Comment une telle réflexion est-elle possible ? Je dois dire que ce frère était encore jeune dans la vie monastique. La vie de saint Bernard nous montre qu’on peut vraiment vivre les deux en même temps, et je dirai même que c’est une preuve de leur authenticité. Un contemplatif qui serait en prière « contemplative » toute la journée, sans aucune autre activité, paraîtrait un peu suspect. S’il avait trop tendance à s’élever dans les hauteurs, les Pères du désert l’auraient bien vite ramené sur terre en le tirant par les pieds. Mais, d’autre part, si quelqu’un pensait que la vie contemplative, la vie en union avec Dieu, c’est pour demain, une fois qu’il aura accompli toutes ses obligations sur cette terre, une fois qu’il aura fini les activités d’un emploi du temps trop chargé, il se trompe également. La force de notre vie chrétienne, et que nous pouvons expérimenter de manière spécifique dans notre vie monastique, c’est qu’il est possible de vivre les deux ensemble : la vie ascétique, la vie active, d’une part, et la contemplation, la prière, la vie d’union avec Dieu, d’autre part. Il faut bien sûr ajouter que c’est un don de Dieu, et que l’expérimenter est un don tout spécial de sa part, que nous ne pouvons que désirer et non exiger. Mais n’est-ce pas pour cela qu’il nous a appelés à cette vie ? Et, s’il nous y appelle, pourquoi nous le refuserait-il ?

Souvenons-nous de la lecture de Ben Sirac que nous venons d’entendre : « Mon fils, si tu viens te mettre au service du Seigneur, prépare-toi à subir l’épreuve. […] Vous qui craignez le Seigneur, comptez sur sa miséricorde […] ayez confiance en lui […] espérez le bonheur, la joie éternelle et la miséricorde : ce qu’il donne en retour est un don éternel, pour la joie » (Si 2, 1-9, extraits).

Rendons-lui grâce, et bénissons-le : en tout, il nous manifeste son amour. Il nous donne de le connaître, de l’aimer, de vivre en sa présence, et en même temps, de le servir dans nos frères. Prenons comme modèle Marie, la mère de Jésus, ou bien son Fils lui-même, qui, tout en étant incarné sur notre terre, vivait l’unité parfaite avec son Père dans la communion de l’Esprit.