La liberté dans l'obéissance — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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La liberté dans l'obéissance

Très peu d’hommes se sanctifient dans l’isolement. Très peu deviennent parfaits dans la solitude absolue.

Vivre avec d’autres, apprendre à nous oublier pour comprendre leurs faiblesses et leurs défauts nous aide à devenir de vrais contemplatifs, car il n’y a pas de meilleur moyen de nous débarrasser de la raideur, de la dureté et de la grossièreté de notre égoïsme inné, qui est le seul obstacle insurmontable à la lumière et à l’action infuses de l’Esprit de Dieu.

Même l’acceptation courageuse d’épreuves intérieures dans une solitude absolue ne peut tout à fait remplacer le travail de purification qui s’accomplit en nous par la patience et l’humilité, l’amour de nos frères et la bienveillante compréhension de leurs besoins et de leurs exigences les plus déraisonnables.

Les ermites risquent de se dessécher et de se durcir dans leur singularité. Vivant sans contact avec les autres, ils ont tendance à perdre le sens profond des réalités spirituelles que seul peut donner un amour pur. Croyez-vous que pour devenir saint il faille vous enfermer avec vos prières, vos livres et les méditations qui intéressent et satisfont votre intelligence pour vous protéger, derrière d’épaisses murailles, contre des gens que vous jugez stupides ? Croyez-vous trouver la contemplation en refusant de vous livrer aux travaux et aux activités qui sont indispensables au bien des autres, mais qui vous ennuient et vous dérangent ? Vous imaginez-vous que vous trouverez Dieu en vous retirant dans un cocon de plaisirs spirituels et esthétiques, au lieu de renoncer à vos goûts, à vos désirs, à vos ambitions et à vos satisfactions pour l’amour du Christ, qui ne vivra même pas en vous si vous ne pouvez Le chercher dans les autres ?

Loin d’être essentiellement opposées l’une à l’autre, la contemplation intérieure et l’activité extérieure sont deux aspects du même amour de Dieu. Mais l’activité du contemplatif doit naître de sa contemplation et lui ressembler. Tout ce qu’il fait en dehors de la contemplation doit refléter la lumineuse tranquillité de sa vie intérieure.

A cette fin, il devra rechercher, dans ses activités, ce qu’il recherche dans la contemplation : le contact de Dieu et l’union à Lui.

Même si nous avons seulement peu appris de Dieu dans la prière, comparons nos actes à ce peu ; ordonnons-les selon cette mesure. Tâchons que notre activité porte ses fruits dans le vide, le silence et le détachement que nous avons trouvés dans la contemplation.

Finalement, le secret de tout ceci est un parfait abandon à la volonté de Dieu dans ce dont nous ne pouvons être maîtres, et une parfaite soumission dans tout ce qui dépend de notre volonté, afin qu’en toutes choses, dans notre vie intérieure et nos activités extérieures pour Lui, nous désirions seulement que Sa Volonté soit faite.

Si nous y parvenons, nos activités auront la paix détachée que nous trouvons dans la prière et, dans la simplicité de tout ce que nous faisons, les hommes verront notre paix et rendront gloire à Dieu.

C’est surtout par ce témoignage silencieux et inconscient qu’il rend à l’amour de Dieu que le contemplatif exerce son apostolat. Car le saint prêche par sa façon de marcher, de se lever, de s’asseoir, de prendre les objets et de les tenir dans ses mains. Ceux qui sont parfaits n’ont pas à réfléchir aux détails de leurs actes.

De moins en moins conscients d’eux-mêmes, ils cessent finalement de se voir agir, et, peu à peu, Dieu commence à agir en eux et pour eux, au moins dans le sens que l’habitude de L’aimer est devenue pour eux une seconde nature, qui marque tout ce qu’ils font de Sa ressemblance.

Thomas Merton, Semences de contemplation (extraits),
Traduction par Marie Tradié, Editions du Seuil (1963) p.144-146