La sainte famille — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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La sainte famille

La Sainte famille
La famille de Nazareth :
paradoxe, expérience, mystère

Frère Gérard ocso, homélie pour la fête de la sainte famille 2015.


Ils sont trois dans cette famille que nous fêtons aujourd’hui : les deux parents et un enfant. Quoi de plus ordinaire dans une famille ? Quoi de plus habituel ? Et pourtant, rien n’est normal dans cette famille de Nazareth...

                                       La Sainte famille

La famille de Nazareth :
paradoxe, expérience, mystère             

Frère Gérard ocso, homélie pour la fête de la sainte famille 2015.

Ils sont trois dans cette famille que nous fêtons aujourd’hui : les deux parents et un enfant. Quoi de plus ordinaire dans une famille ? Quoi de plus habituel ? Et pourtant, rien n’est normal dans cette famille de Nazareth.

Le père, Joseph, nous en savons peu de choses. On peut supposer qu’il se comportait comme tout bon père de famille, prenant sa part au gagne-pain pour tous, à l’éducation de l’enfant, tout en restant attentif à la mère. Lorsque Jésus leur échappe à Jérusalem, Joseph est aussi inquiet que son épouse, quand ils se mettent tous les deux à sa recherche.

Et pourtant, il sait bien qu’il n’est pas le vrai père de Jésus : il n’a jamais approché Marie. Il a fait, certes, ce que l’ange lui a dit, il l’a prise chez lui, mais sans bien comprendre ce qui se passait. Il a un fils, qui n’est pas son fils ; il est père sans être père ; époux sans être époux. Joseph, c’est l’homme du paradoxe.

De Marie, nous savons un peu plus, car elle est beaucoup plus présente dans les évangiles de l’Enfance. Les scènes de l’Annonciation et de la Visitation nous campent une femme attentive à la Parole divine et attentive aux autres en même temps. C’est par elle que toute l’action se trame : tout s’enchaîne à partir de son oui à l’ange. Saint Bernard avait bien raison de voir en cet instant, le moment charnière de toute l’histoire humaine.

Mais en même temps, Marie est épouse sans connaître d’homme. Elle a un fils qui dépasse complètement l’humain qu’elle a engendré. Elle vit tout cela au plus profond de son cœur. Marie, c’est la femme de l’expérience.

Jésus, lui, est un enfant comme tous les petits d’homme : conçu dans le sein d’une femme, il naît dans la pauvreté ; il grandit et est éduqué comme tous les enfants de son époque en cette terre d’Israël.

Et pourtant, il n’a pas de père terrestre : Joseph n’est pas celui qui l’a engendré. Si Marie est bien sa mère, il la traite vite — déjà à l’âge de douze ans – comme si c’était lui qui avait autorité sur elle, tout en se soumettant à elle et à Joseph pour l’ordinaire de la vie. Finalement, c’est en lui que réside la clé du mystère de cette famille, qui n’est rien moins qu’ordinaire. Mais chaque enfant n’est-il pas un mystère ?

On pourrait se demander ce qui fait l’unité de cette famille de Nazareth, l’unité entre Joseph, l’homme du paradoxe, Marie, la femme de l’expérience, et Jésus, l’enfant du mystère. Il me semble que la réponse tient en trois propositions : chacun accomplit sa mission propre et, en même temps, respecte celle des autres, en vue de la réalisation d’une vocation commune. Joseph ne court pas après une paternité charnelle qu’il n’a pas. Marie ne cherche auprès de Joseph des relations qu’elle ne se sent pas en droit d’avoir. Et tous les deux respectent la destinée mystérieuse de Jésus, cet enfant qu’ils ont reçu mais qui ne leur appartient pas, qui appartient à un autre Père, celui des cieux. Et Jésus joue le jeu de l’enfant qui naît, grandit, est éduqué par un homme et une femme, alors qu’une autre nature en lui pourrait lui donner de s’en affranchir.

Leur vie ensemble ne se fonde pas sur une totale compréhension réciproque, mais ils se respectent. Ils sont loin de percer le mystère qu’ils sont appelés à vivre et qui se personnalise en Jésus. Joseph n’a pas tout compris quand l’ange lui a demandé de prendre chez lui Marie, mais il l’a fait. Marie a demandé des explications à l’ange qui lui annonçait une naissance merveilleuse, mais la réponse n’a pas dû l’éclairer beaucoup, sauf sur le fait qu’il lui était demandé d’accepter. Quant à l’enfant, il a accepté de vivre en enfant avec ses parents, avec le sentiment, né peut-être très tôt, qu’il n’était pas seulement l’enfant d’une femme.

Pour chacun, ce n’était donc pas la pleine lumière sur sa propre vocation et encore moins sur la vocation des autres, mais pourtant, ils se sont acceptés mutuellement, ils ont accepté de former une famille. Il y eut probablement des moments de tension, comme en témoigne l’évangile de ce jour (le recouvrement au temple quand Jésus eut douze ans), mais l’amour qu’ils ont mis en œuvre, fruit de l’Esprit saint, leur a permis de conserver des liens d’unité et de paix, car finalement la vocation de chacun dépendait de la vocation des autres, en vue de la réalisation du dessein de Dieu. Aucun n’aurait pu remplir seul ce que Dieu lui demandait. C’est seulement ensemble qu’ils pouvaient rendre possible l’incarnation du Fils de Dieu.

 

En quoi cette famille peut-elle être modèle pour les familles d’aujourd’hui ? Même dans leur grande diversité, elles ne pourront jamais réunir des personnes aussi différentes que celles de la Sainte Famille. Et cependant, les attitudes fondamentales restent les mêmes pour remplir une vocation globale qui dépasse la vocation de chacun : fidélité à sa propre vocation et respect de la vocation des autres, même si on ne comprend pas tout. Et ce qui vaut pour des familles vaut aussi pour des communautés religieuses ou monastiques. Pour que chaque communauté joue son rôle au sein de l’Église, pour qu’elle accomplisse sa mission et mette en œuvre sa vocation propre, c’est à chacun des membres de vivre à plein ce à quoi il est appelé, tout en respectant l’appel reçu par les autres ; c’est à chacun de se mettre au service de ces appels particuliers en vue de l’œuvre commune.

 

Je ne peux terminer sans évoquer une autre famille où ils sont trois personnes également : le Père, le Fils et l’Esprit saint. Chacun est complètement différent des autres, tout en étant égal aux autres. Chacun n’existe, n’est soi-même que par les autres ; chacun ne vit que pour les autres. La vie qui les anime est unique, comme une fleur à trois pétales qu’irrigue une même sève. L’amour qui unit toute l’Église, toute communauté chrétienne ou toute famille est unique : c’est l’amour dont le Père aime le Fils éternellement, et qui est la personne de l’Esprit saint. Il nous a été donné, à chacun, dans le baptême. Une vie de famille, de communauté, ne peut s’édifier que par lui. C’est l’Esprit saint qui nous rassemble tous dans l’amour.