L'Epiphanie — Avec Benoît et les Pères cisterciens

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Avec Benoît et les Pères cisterciens
Menu
Navigation

L'Epiphanie

Evangile et peinture

Guerric d’Igny : Premier sermon pour le jour de l’Epiphanie (Extraits)
Quels trésors d'or, d'or au premier titre, d'or éprouvé au feu, ne possèdes-tu pas, quels trésors non-seulement de myrrhe et d'encens, mais encore de toutes sortes d'essences de parfumeurs ? Que dis-je, qui sont ceux qui possèdent des richesses de ce genre, sinon les pauvres du Christ ?



Guerric d’Igny : Premier sermon pour le jour de l’Epiphanie (Extraits)

Quels trésors d'or, d'or au premier titre, d'or éprouvé au feu, ne possèdes-tu pas, quels trésors non-seulement de myrrhe et d'encens, mais encore de toutes sortes d'essences de parfumeurs ? Que dis-je, qui sont ceux qui possèdent des richesses de ce genre, sinon les pauvres du Christ ?

Cherchez en vous… Quels trésors de bonnes œuvres, quel amas de fruits précieux sont cachés dans le champ du corps de l'homme, et combien plus y en a-t-il dans son cœur, si on les y cherchait et si on y fouillait !... Si donc vous rentrez dans votre cœur, si vous exercez votre corps, ne doutez point que vous trouverez des trésors précieux : si l'or et l'encens ne se présentent point du premier coup, vous trouverez une myrrhe qui ne sera pas inutile. N'appelez pas inutile ou vile une substance que le Christ accepte en présent, par laquelle il a voulu que la sépulture de son corps fût non-seulement indiquée à l'avance quand on la lui offrit, mais encore achevée, lorsqu'il en fut embaumé dans le tombeau.

 

« Lève-toi, Jérusalem, sois inondée de clartés, parce que ta lumière s'est montrée.» (Es 60,1) Ce jour rempli de splendeurs, Celui qui est la lumière l'a éclairé et consacré, lorsque, caché et inconnu, il a daigné se révéler au monde pour illuminer la gentilité. Aujourd'hui en effet, il s'est annoncé aux Chaldéens par l'apparition d'un astre nouveau, en sanctifiant, dans ces prémices, la foi de toutes les nations.

Oh! de quelle joie excessive tressaille la foi des Mages en voyant régner dans cette Jérusalem, celui qu'ils adorèrent vagissant à Bethléem ! On l'avait vu dans l'hôtellerie des pauvres, maintenant on le voit dans le palais des anges. Ici-bas, il était revêtu des langes de l'enfance, là-haut, il brille dans les splendeurs des saints. Ici il était sur le sein de sa mère; là-haut, il est sur le trône de son Père. La foi des mages était bien digne, en effet, de recevoir, pour récompense, le bonheur d'une telle vision. Ils ne voyaient dans l'enfant Jésus rien que de faible et de méprisable. Loin de se scandaliser, rien ne les empêche de reconnaître un Dieu dans l'homme et l'homme en Dieu.

Dans ses prémices de la gentilité, dans ces premières plantes de l'Eglise naissante, nous trouvons un beau et remarquable modèle de la marche de la foi dans les âmes. Son point de départ, son progrès et le terme où elle aboutit, en sorte que dans les fils on trouve facilement les traces de ceux qui furent les pères. Car, de même que les Mages ont commencé par voir l'astre, se sont avancés ensuite jusqu'à voir l'enfant, et sont parvenus enfin à la vision de Dieu, de même, en nous, la foi naît par la prédication, elle se fortifie par la vue de certaines images qui nous font voir comme dans un miroir et en énigme Dieu comme s'il était incarné. Elle sera consommée, lorsque, dans notre contemplation, nous verrons face à face, présente et nue, la réalité des choses ; bonheur où l'on parvient à peine sur la terre, et encore faiblement par éclair et en images ; ainsi la foi deviendra connaissance, l'espérance possession, et le désir jouissance. Des étoiles, en effet, brillent sur nous. Je dis des étoiles, car il n'y en a pas qu'une, mais plusieurs, à moins que toutes ensemble n'en fassent qu'une, parce qu'elles n'ont qu'un coeur, et qu'une âme, une même foi, une même prédication, une même vie. Si vous ne savez quelles sont les étoiles dont je parle, demandez-le au prophète Daniel « Ceux qui en instruisent plusieurs pour la justice, seront comme des étoiles dans les perpétuelles éternités. » (Dn 12,3) Saint Paul donne aussi le nom de « luminaires » à ceux qui brillent « au milieu d'une nation méchante et perverse. » (Ph 2.15)

Guerric d’Igny : Sermon 4 pour le jour de l’Epiphanie (Extraits)

Aujourd'hui, mes frères, on célèbre une seconde nativité qui résulte de la première, comme l'effet de sa cause. Celle que nous avons fêtée jusqu'à ce jour est la naissance de Jésus-Christ : celle que nous célébrons en ce jour est la nôtre. Dans l'une, c'est Jésus qui est né, dans l'autre, c'est la chrétienté qui est venue au monde. Et, comme il y a trois choses qui nous font chrétiens, la foi, le baptême et le sacrement de l'autel, la solennité d'aujourd'hui nous a donné les prémices de la foi, a consacré pour nous le baptême et a préludé à la merveille qui s'accomplit sur la table du ciel. Comment la première lumière apparaissant à la gentilité nous a initiés à la foi, comment Jésus-Christ, par son baptême, a consacré le nôtre, comment le changement de l'eau en vin a montré, d'avance, la transformation substantielle qui s'opère à la table du Seigneur, nous n'avons plus besoin de l'expliquer; mais ce que j'estime très-important, c'est de nous avertir nous-mêmes de prendre garde que la foi ne dégénère en nous de ces débuts, que la grâce du baptême ne soit stérile dans nos âmes, et que la participation au calice du Seigneur ne tourne à notre condamnation.

Pour ce qui concerne la foi, comment elle nous a été communiquée aujourd'hui par les Mages, ses premiers auteurs, comment, par les symboles des présents mystérieux ils ont exprimé le don souverain de la foi, nos pères nous l'ont expliqué avec beaucoup de détails, tellement que nous n'avons d'autre fatigue à essuyer que celle d'entrer dans leurs travaux. L'état ou, pour mieux parler, la décadence de cette époque, ne réclame pas beaucoup que l'on disserte sur le mystère de la foi, mais bien plutôt, que l'on s'efforce de toutes les manières possibles, ainsi que l'Apôtre l'inculque, de le porter dans une conscience sans souillure (1Tm 3 ,9). Si vous interrogez quelqu'un aujourd'hui sur la foi, vous trouverez tout le monde chrétien. Si vous sondez les consciences, vous trouverez fort peu de personnes vraiment dignes de ce nom. Presque tout l'univers « confesse en paroles qu'il connaît Dieu, mais il le nie en réalité (Tt 1,16) ; » au point que ceux qui semblent avoir une apparence de piété, montrent trop souvent qu'ils en rejettent la vertu. Qui pensez-vous, mes frères, que j'aie voulu désigner, en parlant de ceux qui ont l'extérieur de la vertu et en repoussent la réalité ? Si vous croyez que ce sont ceux qui marchent dans le grand chemin du siècle, que disons-nous de ceux qui ne présentant que l'apparence de la vertu, n'ayant de chrétien que le titre, et prenant en vain le nom sacré du Christ, pratiquent en toute liberté ce qui est opposé à cette profession, et, par toute leur conduite et leur manière de vivre, se déclarent ennemis de la croix du Seigneur? Outils même l'apparence de la piété ceux en qui nous trouvons un extérieur et une démarche de courtisanes, des discours bouffons, des regards impurs, un ventre qu'on traite comme un Dieu, et toute cette vie honteuse, dont on se vante, dont on fait parade, pour insulter en face à la piété ?  « Il est honteux de dire ce que ces misérables font en secret (Ep 5,12). » Que celui qui a été envoyé prophétiser contre eux perce leur muraille, afin de voir les abominations plus grandes qu'ils ne rougissent ou ne craignent pas de commettre devant la majesté redoutable de Dieu. Que me fait à moi, qui suis moine, de juger ceux qui sont hors de ce monastère ? Plût au ciel que je n'eusse point à m'occuper, non plus, de ceux qui sont dans le cloître. Mon âme se trouble au dedans de moi-même, je redoute que ces gens qui n'ont que l'apparence de la piété que j'ai dépeints devant vous d'une façon quelconque, ne se mettent à m'accuser plus fortement, s'ils me convainquent d'en avoir répudié la vertu.

J'ai tout lieu de craindre pour moi, mes frères, voyez si vous aussi vous n'avez aucune appréhension à avoir, j'ai tout lieu de craindre que le passage où l’Apôtre a prophétisé au sujet des temps à venir ne nous regarde particulièrement : page redoutable que celle où, décrivant la malice des hommes vivant en ces jours, telle qu'on peut la reconnaître dans leurs mœurs et dans leur conduite, il déroule en ces termes, le long catalogue de leurs excès : « Ayant, » dit-il, « l'apparence de la vertu, mais répudiant la réalité (2Tm 3,5). » Qui a, autant que nous ; l'extérieur de la piété, humilité de la tonsure et de l'habit, privation dans le boire et le manger, travail presque incessant, et une règle de vie où tous les instants sont parfaitement distribués ? Mais quant à la réalité de la piété que cet extérieur promet, j'aurais honte de dire qu'il ne s'en trouve presque rien chez moi, et chez ceux qui me ressemblent, si ce n'était point chose manifeste pour tous. Qu'est-ce donc que la réalité de la piété, sinon une charité non feinte, une humilité véritable, une patience constante, une obéissance virile? Je vous laisse, mes frères, à décider combien vous avez droit de vous glorifier de posséder ces vertus ou d'autres semblables. Pour moi, je l'avoue avec ingénuité, j'en sais le nom, mais j'en ignore encore le goût. Cet habit religieux que je porte, et auquel la vertu ne répond presque en aucune manière, me cause donc justement de la crainte et de la honte. Puis-je revendiquer le titre et l'honneur de moine, quand je n'en ai ni le mérite ni la vertu, alors que, comme on l'a dit avant nous, une sainteté simulée est une double iniquité, et que le loup, découvert sous la peau de brebis, doit être frappé d'une sentence plus cruelle ? C'est pourquoi, vous aussi, mes frères, afin de pouvoir vous glorifier sûrement de cet extérieur de piété qui reluit sur votre corps, mettez vos cœurs dans la vertu, afin que l'apparence au dehors, la réalité au dedans, vous rendent agréables aux anges et aux hommes, et que cette parole de l'Écriture se vérifie : « Tous ceux qui les verront les connaîtront, et verront qu'ils sont la race bénie du Seigneur (Es 61,9). »

Voilà, mes frères, la piété véritable de la foi chrétienne : avoir le mystère de la foi dans une conscience pure, afin de conserver dignement et avec fidélité ce mystère que nous rendait recommandable les présents symboliques des Mages…