C'est la fête de tous les saints... Il y a trois sortes de saints
C'est fête aujourd'hui pour nous, et la solennité de ce jour compte parmi les plus grandes solennités...
C'est fête aujourd'hui pour nous, et la solennité de ce jour compte parmi les plus grandes solennités. Que dis-je ? De quel apôtre, de quel martyr, de quel saint est-ce la fête ? Ce n'est pas la fête d'un saint en particulier, mais la fête de tous les saints, car personne de nous n'ignore que cette fête est appelée, et est, en effet, la fête de tous les saints, oui, de tous, non seulement des saints du ciel, mais encore de ceux de la terre ; car il y a les saints du ciel et les saints du la terre, et même parmi ces derniers, lus uns sont encore sur la terre, tandis que les autres se trouvent déjà dans le ciel. On fait donc en commun la fête de tous ces saints-là, mais ne la fait-on pas tout à fait de la même manière. Après tout, il ne faut pas s'en étonner, puisque la sainteté des uns n'est pas celle des autres, et qu'il y a une différence quelque fois même très grande entre un saint et un autre saint.
Il est certain que les saints sont appelés saints et cela avec vérité, les uns dans un sens et les autres dans un autre…. En effet, il ne semble pas qu'on puisse honorer comme des athlètes triomphants ceux qui n'ont jamais combattu, et pourtant, pour mériter un culte différent, ils n'en sont pas moins dignes des plus grands hommages, puisqu'ils sont tes amis, ô mon Dieu, et qu'ils ont toujours été attachés à ta volonté avec autant de félicité que de facilité.
Chez les hommes, il y a un autre genre de sainteté qui mérite des honneurs à part ; c'est la sainteté de ceux qui viennent de la grande épreuve et qui ont lavé et blanchi leurs robes dans le sang de l'Agneau (Ap 7,14) et qui triomphent enfin après bien des luttes et reçoivent la couronne de la victoire dans les cieux, parce qu'ils ont combattu les légitimes combats.
Y a-t-il encore une troisième sorte de saints ? Oui, mais ils sont cachés. Ce sont, ceux qui militent encore, qui combattent toujours, qui courent dans la carrière et n'ont point encore obtenu le prix.
Mais à quoi bon les louanges que nous adressons aux saints, à quoi bon célébrer leur gloire et faire parmi nous leur fête ? Pourquoi prodiguer les honneurs de la terre à ceux que, selon la promesse véridique du Fils, le Père céleste honore lui-même ? Qu'ont-ils besoin de nos félicitations ? Ils ont tout ce qu'ils peuvent contenir de gloire. C'est vrai, mes bien-aimés, les saints n'ont pas besoin de nos honneurs, et notre dévotion n'ajoute rien à ce qu'ils ont. Mais il y va de notre intérêt, sinon du leur, que nous vénérions leur souvenir. Voulez-vous savoir quel avantage nous avons à leur rendre nos hommages ? Je vous avouerai que pour moi, leur mémoire fait naître en moi un violent désir… On dit vulgairement loin des yeux, loin du cœur. Or, mon œil à moi, c'est ma mémoire, et me rappeler le souvenir des saints, c'est en quelque sorte pour moi, les voir. Voir comment notre lot se trouve dans la terre des vivants, et ce n'est pas un lot médiocre, si toutefois le souvenir, en nous, ne marche point sans la charité. Oui voilà, dis-je, comment notre vie se trouve transportée dans les cieux, non point, toutefois, de la même manière que la leur s'y trouve à présent. En effet, ils s'y trouvent en substance et nous n'y sommes qu'en désir. Ils y sont effectivement présents, nous ne nous y trouvons que par le souvenir. Quand nous sera-t-il donné de nous réunir aussi à nos pères ? De leur être présentés en personne ? Tel est le premier désir que la mémoire des saints éveille ou tout au moins fait naître en nous. Quand jouirons-nous de leur société si désirable, quand serons-nous dignes d'être les concitoyens, les familiers des esprits bienheureux, d'entrer dans l'assemblée des patriarches, de nous unir au groupe des prophètes, au sénat des apôtres, aux innombrables bataillons des martyrs, aux confesseurs, et aux chœurs des vierges, en un mot, et de nous réjouir en commun dans la troupe entière des saints ?
L'Église des premiers-nés nous attend, et nous négligeons d’aller rejoindre les saints qui nous appellent, et nous n'en tenons aucun compte. Réveillons-nous enfin, mes frères, ressuscitons avec le Christ, cherchons, goûtons les choses d'en haut. Désirons ceux qui nous désirent, courons vers ceux qui nous attendent, que nos cœurs tendent par leurs vœux, vers ceux qui les appellent. Dans la vie que nous partageons ensemble ici-bas maintenant, il n'y a ni sécurité, ni perfection, ni repos, et pourtant combien ne nous est-il pas doux et bon d'habiter en commun avec nos frères ? En effet nous arrive-t-il quelque chose de fâcheux, soit dans le corps, soit dans l'âme, il nous est plus facile de le supporter dans la société de nos frères, avec qui nous n'avons en Dieu qu'un cœur et qu'une âme. Combien plus douce, plus délicieuse et plus heureuse est l'union, que nul soupçon ne trouble, que nulle dissension n'altère, qui nous réunira par les liens indissolubles de la charité parfaite ? Et qui fera que nous ne serons plus qu'un dans le Père et dans le Fils, comme le Père et le Fils ne forment qu'un aussi.
Bernard de Clairvaux : Cinquième sermon pour la fête de la Toussaint (extraits)