Les Rameaux — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Les Rameaux

Evangile et peinture

Les Rameaux …

Ce n'est pas sans raison que l’Église, qui est animée en même temps de l'Esprit de son époux qui est aussi son Dieu, a, par un rapprochement aussi nouveau qu'étonnant, placé aujourd'hui la lecture de la passion de notre Seigneur avec la procession des rameaux...

Bernard de Clairvaux

Premier sermon pour le dimanche des rameaux. (extraits)

 

Ce n'est pas sans raison que l'Eglise, qui est animée en même temps de l'Esprit de son époux qui est aussi son Dieu, a, par un rapprochement aussi nouveau qu'étonnant, placé aujourd'hui la lecture de la passion de notre Seigneur avec la procession des rameaux. Si la procession a ses chants de triomphe, la passion a ses gémissements et ses larmes. Or, puisque nous nous devons également aux sages et aux insensés, voyons quel fruit les uns et les autres peuvent recueillir de cette coïncidence. Et d'abord qu'enseigne-t-elle aux gens du monde, car ce n'est point l'esprit mais l'animal qui vient au premier rang (1 Co 15,46) ? Que l'âme mondaine remarque donc et se pénètre bien de ceci, c'est que la joie finit toujours par laisser la place à la tristesse (Pr 14,13). Voilà pourquoi celui qui a voulu commencer par agir avant d'enseigner (Ac 1,1) a montré clairement à tous  dans sa personne, lorsqu'il se fut fait chair, ce qu'il avait longtemps d'avance annoncé par son Prophète en ces termes : « Toute chair n'est que de l'herbe et toute sa gloire est semblable à l'éclat de la fleur des champs (Es 40,6). » Si donc il a voulu entrer en triomphe à Jérusalem, c'est parce qu'il savait que le jour des ignominies de la passion approchait pour lui. Quel homme, maintenant, osera placer son espérance dans une gloire temporelle si inconstante, quand il verra, pour celui même qui n'a point commis le péché, le Créateur des temps, et l'Artisan de l'univers, de si profondes humiliations succéder à de si grands honneurs : le Christ successivement mis à l'épreuve des outrages et des mauvais tourments, et finalement placé au rang des scélérats, dans la même ville, et dans le même temps où il avait reçu des honneurs divins, et par le même peuple qui l'avait accompagné en chantant les louanges? Telle est la fin de toute joie qui passe, tel est le fruit de la gloire temporelle. Aussi le Prophète demande-t-il dans une prière pleine de sagesse, que sa gloire chante les louanges du Seigneur sans qu'il ait ensuite à ressentir les poignantes atteintes des revers (Ps 29,13). C'est-à-dire, qu'il ait son cortège de gloire sans connaître ensuite les humiliations de la Passion.

Mais à vous, mes bien-aimés, je veux parler de choses spirituelles comme à des hommes spirituels eux-mêmes, et montrer, dans la procession, la gloire de la céleste patrie, et, dans la Passion, la voie qui y conduit. En effet, dans la procession vous vous êtes représenté en esprit, dans quels transports de joie et d'allégresse, nous nous sentirons un jour enlevés dans les nuées au devant de Jésus-Christ. Vous avez senti votre cœur enflammé du désir de voir le jour où le Christ Notre Seigneur et votre chef sera reçu avec tous ses membres, dans la céleste Jérusalem, triomphant et victorieux, aux applaudissements, non plus de ses compatriotes de la terre, mais des troupes angéliques et des peuples des deux Testaments qui s'écrieront ensemble : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (Mt 21,9) » Vous vous êtes, dis-je, représenté dans la procession le but de notre voyage, je veux vous montrer maintenant dans la Passion, la honte qui conduit à ce terme. En effet la voie de la vie se trouve dans les tribulations présentes, c'est là qu'est la voie de la gloire et de la patrie, la voie qui conduit au royaume, selon ce que dit le bon larron du haut de la croix, quand il s'écrie : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras arrivé dans ton royaume (Lc 23,42). » Il voyait sur la route de son empire celui qu'il priait de se souvenir de lui quand il y serait arrivé, et il y arriva lui-même en effet; mais vous voulez savoir combien courte est la voie qui y mène, rappelez-vous qu'il mérita d'y entrer le même jour avec le Seigneur. Ce qui rend facile à supporter les épreuves de la passion, c'est la gloire du triomphe, car il n'y a plus rien de difficile pour celui que l'amour inspire.

 

Bernard de Clairvaux

Second sermon pour le dimanche des rameaux. (extraits)

 

Je vous parlerai aujourd'hui moins longuement que de coutume, à cause du peu de temps dont je dispose pour cela, car, si la procession, que nous allons faire dans un instant, nous donne une ample matière à bien des réflexions, elle nous empêche, en même temps, de vous les exposer avec étendue. Oui, nous, allons faire une procession solennelle, et, peu de temps après, nous lirons l'histoire de la Passion. Pourquoi la réunion de ces deux choses en un jour, et quelle fut la pensée de nos pères, en faisant suivre la procession de la lecture de la Passion? Pour ce qui est de la procession il était juste de la faire aujourd'hui, puisque c'est à pareil jour qu'elle eut lieu la première fois, mais pourquoi l'a-t-on fait suivre de la Passion qui n'arriva que six jours après? C'est avec infiniment de raison que la Passion se trouve réunie à la procession, afin que nous apprenions par là à ne pas miser sur les joies de ce monde, et que nous sachions bien que nos joies d'ici-bas cèdent vite la place à la tristesse. Ne soyons donc point assez insensés pour nous laisser frapper à mort par notre propre prospérité, et, aux jours du bonheur, rappelons-nous qu'ils seront suivis de jours mauvais. En effet, pour les hommes spirituels, ainsi que pour les charnels, ce monde est un mélange de biens et de maux. Nous ne voyons pas que pour les gens du monde, si quelquefois les choses arrivent selon qu'ils le désirent, souvent aussi, il en est autrement. Il en est de même pour les hommes spirituels tout n'est pas tristesse, il y a bien aussi quelquefois pour eux des moments de bonheur, leurs jours se composent aussi comme ceux de la Genèse d'un soir et d'un matin, et ces paroles de Job : « Tu visites l'homme le matin et aussitôt après tu le mets à l'épreuve (Jb 7,18,) » sont actuelles pour le temps qui passe et s'écoule.

Voilà pourquoi aussi le Seigneur a voulu nous donner, en même temps, une leçon de patience dans la passion et d'humilité dans la procession. Dans l'une, il paraît comme un agneau qu'on mène à la boucherie, ou qui se trouve entre les mains du tondeur, et n'ouvre point la bouche. En effet, tandis qu'on le chargeait de coups, non seulement il ne faisait point entendre de menaces, mais même il n'ouvrait la bouche que pour articuler ces paroles : « Mon Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (Lc 23,34). » Mais dans son cortège triomphal, que voyons-nous? Pendant que les habitants de la ville se préparaient à sortir à sa rencontre, lui n'ignorait point ce qu'il y avait de caché au fond de leurs cœurs. Voilà pourquoi il se présente à eux monté, non dans un char ou sur des chevaux aux freins d'argent et aux harnais semés de clous d'or, mais il vient humblement assis sur un modeste ânon que ses apôtres avaient couvert de leurs vêtements, et je ne crois pas que ces vêtements fussent les plus précieux de la contrée.

Pour en revenir à la procession, j’y reconnais quatre catégories d'assistants et peut-être sont-ils dans notre procession d’aujourd’hui. Les premiers marchent en avant et préparent le chemin : ce sont ceux qui préparent le chemin du Seigneur dans vos cœurs et qui vous dirigent sur le chemin de la paix. D’autres suivaient : ce sont ceux qui, conscients de leur propre ignorance, suivent avec empressement et ne quittent jamais les pas de ceux qui les précèdent. Il y avait aussi les disciples, familiers de la maison qui se tenaient tout proches, à ses côtés ce sont les contemplatifs. Enfin ceux qui le portent comme un fardeau qui les accable, ce sont ceux qui ont le cœur dur et l'âme sans dévotion. Ils sont donc les uns et les autres dans le cortège du Sauveur, et pas un d'entre eux ne voit sa face. En effet, ceux qui vont devant lui sont occupés à lui préparer la voie, c'est-à-dire ont l'œil ouvert avec inquiétude, sur les péchés et sur les tentations des autres. Quant à ceux qui marchent derrière lui, il, est bien évident qu'ils ne sauraient voir son visage. On peut dire d'eux, comme de Moïse, qu'ils ne le voient que par derrière. Sa monture ne lève jamais non plus les yeux pour le contempler, mais elle s'avance, la tête inclinée vers la terre. Pour ceux qui, marchent à ses côtés ils peuvent bien voir sa face de temps en temps, mais, ce n'est qu'en passant et à la dérobée, ils ne la contemplent jamais à leur aise tant que le cortège est en marche.

 Mais fasse dans sa bonté, celui qui vit et règne dans tous les siècles des siècles et qui doit remettre son royaume entre les mains de Dieu son Père, que nous demeurions dans son cortège toute notre vie, afin que nous méritions d'entrer un jour dans la sainte cité, avec ce grand cortège qui doit l'accompagner lorsque son Père l'accueillera avec tous ceux qui sont à lui.

 

Bernard de Clairvaux

Troisième sermon pour le dimanche des rameaux. (extraits)

 

Si Dieu a tout fait et réglé avec nombre, poids et mesure, c'est particulièrement en ce qui a rapport au temps où il s'est montré sur la terre, pour y vivre au milieu des hommes qu'il a réglé tout ce qu'il a fait, dit et souffert parmi eux, de telle sorte qu'il n'y eût pas un moment de sa vie, pas un iota de ce qu'il a dit, qui fût sans une signification sacramentelle et mystérieuse. Toutefois, les jours qu'il a plus particulièrement mis en lumière à nos yeux sont au nombre de cinq, en comptant celui où je vous parle. Ce sont ceux de sa marche triomphale, de la cène, de sa passion, de sa sépulture, et de sa résurrection, jours évidemment remarquables entre tous, et les plus insignes de sa vie entière. Le premier de ces cinq jours où il a daigné recevoir les hommages des hommes, non point à pied, comme il l'avait fait jusqu'à lors, mais monté sur un âne, dans les murs de Jérusalem, au milieu des transports de joie et des chants de triomphe de la population toute entière. Mais cette entrée triomphale fut le prélude de sa Passion, car elle ralluma contre lui la haine des princes des prêtres. Nous lisons, il est vrai, dans un autre endroit de l'Evangile, qu'ayant appris que la foule allait venir le prendre pour le faire roi, il s'enfuit pour ne pas être élevé sur le trône (Jn 6, 15). Aujourd'hui qu'on ne le recherche plus il se présente de lui-même et veut être accueilli comme Roi d'Israël, et proclamé tel par toutes les bouches, que dis-je, il fait plus encore, car il n'est pas douteux qu'il porta lui-même les Juifs à faire entendre ces acclamations sur son passage. Jésus tient à peu près la même conduite pour sa passion. En effet, tantôt il s'éloigne, et se cache des Juifs, et ne veut plus se montrer en public dans la Judée, parce qu'on cherchait à le faire mourir (Jn 7,1), et tantôt lorsqu'il sait que son heure est venue, comme un homme qui est complètement maître de faire ce qu'il veut, il vient de lui-même au devant de la Passion. Il convenait, en effet, que nous eussions un grand Prêtre, qui fût soumis aux mêmes épreuves que nous en toutes choses, à l'exception du péché (He 4, 15), et que, comme les autres hommes, il sût à propos se soustraire ou s'exposer aux chances de la prospérité et aux coups de l'adversité, et nous donner, en sa personne, l'exemple salutaire de cette double conduite. En effet, s'il faut souvent, par l'esprit d'humilité, éviter les applaudissements du monde et fuir les prospérités du siècle, il est juste aussi parfois de les accepter, cela peut se trouver dans l'ordre. De même il est quelquefois prudent, selon les temps et les lieux, de fuir la persécution des hommes, et quelquefois nécessaire de la souffrir avec courage.

Or, c'est dans ces deux choses, je veux dire dans la prospérité et dans l'adversité, que se résume à peu près toute la vie de l'homme, et c'est dans la pratique de ces quatre alternatives que consiste toute notre vertu.

 

Aelred de Rievaulx

Sermon pour le dimanche des rameaux (extraits)

 

Beaucoup de personnes ont parlé avant nous de cette entrée de Jésus à Jérusalem. Le sentiment commun c'est que cette entrée à Jérusalem, c'est l'arrivée de Jésus dans l'Eglise : les deux disciples qui détachent l'ânesse et l'ânon et les conduisent au Seigneur, sont les deux sortes de prédicateurs envoyés les uns vers les Juifs, les autres vers les Gentils, déliant ces deux peuples des chaînes de leurs péchés, et les amenant à la connaissance de la véritable foi. Les vêtements placés sur la monture, sont les mystères de la foi confiés au peuple chrétien. Jésus s'y assied, parce que, par la foi, Jésus-Christ habite dans le cœur des fidèles. Cette foule nombreuse qui étendait ses habits sur le passage,c'est la multitude des saints martyrs, exposant leurs corps aux supplices, à l'imitation du Seigneur. Ceux qui coupent les branches des arbres sont les docteurs, tirant des livres saints les formules catholiques. Ceux qui marchaient devant et ceux qui venaient ensuite criaient Hosanna parce que le peuple Juif qui précédait et le peuple gentil qui a suivi professaient la même foi chrétienne. Et cette interprétation doit être approuvée en tous points, parce que son sens est saint et catholique. Tout en l'approuvant, cherchons-en une autre qui ne soit point étrangère dans ce même endroit de l'Evangile, et creusant dans la mœlle du sens moral tournons notre prédication à l’édification des mœurs….

Il faut donc rechercher quelle est son arrivée mystique à Jérusalem, et comment, ce qui se passa en ce jour, aux approches de sa passion sacrée, à son arrivée dans cette ville, il daigne le réaliser encore aujourd'hui en nos âmes. « Il s'approcha de Jérusalem  » ainsi que l'Evangéliste le dit. S'approcher de Jérusalem, pour lui, c'est s'approcher de l'âme. Non seulement cela, mais se rapprocher de nous, pour lui c'est faire que nous nous rapprochions de lui. Car, par la piété, étant très éloignés de lui, comment, par une vie sainte nous rapprocherions nous de lui, si d'abord il ne s'approchait de nous ? De même que saint Jean dit que la charité ne consiste pas en ce que nous ayons aimé Dieu, mais en ce que Dieu nous a aimés le premier (1 Jn 4,10), de même nous pouvons et nous devons dire, que par  la grâce, ce n'est pas que nous nous approchions de Dieu, mais que Dieu s'est approché de nous.   

Jérusalem, comme vous le savez, s'appelle vision de paix. Nous nous acheminons vers elle, par la voie droite et royale, quand nous marchons dans la pureté de la confession, dans l'humilité de  l'obéissance et dans la grandeur de  la miséricorde.

 

 Guerric d’Igny

Troisième sermon pour les rameaux (extraits)

 

 Si donc, ainsi que j'avais commencé à le dire, on considère à la fois la marche et la Passion de Jésus-Christ, on le voit d'un côté, glorieux et élevé, de l'autre humble et couvert de chagrins. Dans son entrée, on le voit entouré d'honneur comme un roi, dans sa passion, puni comme un malfaiteur. Là, le triomphe et la pompe l'entourent, ici il n'y a ni éclat ni beauté. Joie des hommes et objet de l'enthousiasme populaire, il est d'un autre côté l'opprobre des humains et le rebut de la populace. Ici on lui crie : « Hosanna au Fils de David, béni soit celui qui vient, roi d'Israël (Mt 21,9), » là, on hurle. « Il est digne de mort (Jn 19,7), » et on lui reproche d'avoir voulu se faire passer pour roi d'Israël. Ici, on marche à sa rencontre en tenant des rameaux à la main, là, on lui donne des coups de poing à la figure et on frappe sa tête d'un roseau. Entouré d'hommages d'une part, il est rassasié d'opprobres d'une autre. Ici, à l'envie, on couvre son chemin des vêtements d'autrui, là il est dépouillé même des siens. Ici, il est accueilli à Jérusalem comme un roi juste, comme un libérateur, là il est chassé comme en criminel et un séducteur convaincu. D'un côté, il est assis sur un âne entouré d'hommages, d'un autre, il est suspendu au bois de la croix, battu de verges, tout percé de plaies et abandonné des siens. Il est bien plus malheureux que Job, puisque Dieu a soudainement et grandement changé pour lui tout en mal. « Vous avez entendu parler de la patience de Job » dit l'apôtre saint Jacques (Jc 5,11), « vous avez vu le dessein du Seigneur : il est compatissant et miséricordieux.» C'est comme si cet apôtre disait : la patience de Job dura jusqu'à ce que les richesses qu'il avait perdues lui fussent rendues, les souffrances du Seigneur sont allées jusqu'à la fin de sa vie. Job souffrit patiemment d'être privé de ses biens, mais bientôt il en reçut le double dans son pays. Jésus-Christ quitta ce monde rempli de misères et abreuvé d'amertumes.

Oui, le visage de Jésus triomphant, tel qu'il faut le considérer dans son entrée, est joie et allégresse : le visage de Jésus mourant, tel qu'il le faut considérer en sa Passion, est remède et salut. « Ceux qui te craignent me verront, dit-il, et se réjouiront (Ps 118,74) : » ceux qui souffrent me verront et seront guéris comme le furent ceux qui, après avoir été piqués des serpents, regardèrent le serpent attaché au bois.