La Passion... — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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La Passion...

Evangile et peinture

Chrétiens, vénérons, en lui rendant les honneurs divins, Jésus de Nazareth, condamné injustement par les Juifs, crucifié par les Gentils.

Aelred de Rievaulx

Sermon sur la vie et la passion du Seigneur. (extraits)

 

Chrétiens, vénérons, en lui rendant les honneurs divins, Jésus de Nazareth, condamné injustement par les Juifs, crucifié par les Gentils. Glorifier avec respect, embrasser avec amour, imiter avec courage les souffrances du Sauveur, c'est chose digne, salutaire et honorable. Ces faiblesses sont, en effet, les instruments vigoureux, au moyen desquels la vertu toute-puissante et la sagesse insondable de Dieu a opéré, par un effet éclatant et merveilleux, la restauration du monde et l'opère encore. Le Seigneur Jésus-Christ a été placé au dessous des anges pour nous égaler à eux. Et qui ne s'humilierait pour l'amour de Jésus ? Il a été crucifié, et il a adouci, pour ceux qui l'aiment, l'amertume de la croix. Il est mort, il a tué la mort afin que nous vivions par lui. Qui n'aimerait notre Seigneur ? Qui ne souffrirait pour lui ? Par l’ignominie de l'instrument de son supplice, il arrive à la gloire de la clarté céleste et, à cause du respect qui lui est du, Dieu le Père lui a donné toute puissance au ciel et sur la terre, en sorte que tous les anges de Dieu l'adorent, et qu'au nom de Jésus, tout genou fléchit au ciel, sur la terre et dans les enfers.

Où est le titre de votre gloire, ô chrétien, si ce n'est dans le nom de votre Dieu crucifié et dans le nom du Christ, qui est au dessus de tout nom, en qui celui qui est béni sur la terre, sera béni dans le ciel?

Enfin, ils ont acheté trente pièces d'argent, ton sang juste, vendu par ton disciple, enfant de perdition, pour précipiter sans raison ton âme dans les abîmes de la mort. Et tu connaissais la perfidie de ce malheureux scélérat, lorsqu'à la cène, au moment de l'ablution, à genou devant lui, tu daignas, de tes mains  très saintes, toucher, laver et nettoyer ses pieds maudits, si prompts à verser le sang.

Pourquoi, ô terre et cendre, marches-tu encore la tête fièrement dressée? L'orgueil t’élève encore? L'impatience t’agite toujours. Considère Jésus le Seigneur, plein d'humilité et de mansuétude, l'auteur de toute créature, le juge redoutable des vivants et des morts, fléchissant les genoux devant un homme, et devant celui qui le trahit. Apprends qu'il est doux et humble de cœur, et confonds-toi  de ton orgueil et de ton impatience. C'était aussi, par un effet de ta douceur, ô Seigneur, que tu n'as point voulu découvrir et confondre publiquement au milieu de tes frères ce perfide, et que, l'avertissant doucement, tu lui as ordonné d'accomplir promptement, ce qu'il se disposait à faire. En tout cela, sa fureur ne se détourna pas de toi, et, sorti, il s'adonnait avec empressement à accomplir son action mauvaise.

Après avoir donné le commandement, salutaire de la charité et de la patience, après avoir disposé pour tes frères le royaume de ton Père, tu t’es rendu en leur compagnie, au lieu connu du traître, sachant tout ce qui allait fondre sur toi. Là tu n’as pas rougi de déclarer tout haut la tristesse de ton âme que tu as ressentie spontanément aux approches de ta Passion, aussi bien que toutes les autres souffrances que tu as ressenties, disant à ce moment : « Mon âme est triste à en mourir (Mt 26,38). » Ayant fléchi les genoux, tu t’es prosterné le visage contre terre, priant dans ton agonie en ces termes : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi. » Et cette sueur de sang, qui, au temps de ta prière, coulait sur le sol indiquait sans nul doute, les angoisses de ton cœur. Jésus, mon souverain Seigneur, d'où vient un moment si plein d'anxiété ? N'as-tu pas offert tout à fait volontairement ton sacrifice à ton Père ? Assurément. Nous pensons que tu as voulu agir de la sorte pour que nul ne désespère, si la chair murmure lorsque l'esprit est prompt, pour aller à la Passion. Et pour que notre amour et notre reconnaissance fussent plus puissamment stimulés, tu nous montres l'infirmité naturelle de la chair, par ces indices qui nous apprenons que tu as suivi le sentier des souffrances, non sans éprouver des douleurs. Car ce cri paraît venir de la chair, et non de l'esprit, car tu as ajouté : « L'esprit, à la vérité, est prompt, mais la chair, infirme. »

Que ton esprit ait été prompt à courir à la Passion, tu l'as montré avec évidence, lorsque, de ton propre mouvement, tu t’es porté à la rencontre des hommes de sang qui, avec le traître, venaient te saisir avec des lumières, des faulx et des torches durant la nuit, et tu t’es montré toi-même, pour qu'ils n'eussent aucune indication à recevoir, de celui qui les conduisait en cette honteuse circonstance.

Car, n'oubliant pas l'ancienne amitié qui vous avait unis, tu l’as averti en ces termes : « Mon ami, pourquoi es-tu venu ? » Tu as aussi voulu frapper, l'âme de cet impie, en lui découvrant l'horreur de son forfait, lorsque tu as dit: " Judas, tu trahis par un baiser le Fils de l'homme ? "

Et qui entendrait raconter sans gémir, comment alors ils jetèrent sur toi leurs mains homicides, comment après avoir lié, ô bon Jésus, tes mains innocentes, ils te conduisirent avec ignominie, comme un malfaiteur, au lieu du supplice, agneau très doux, qui garde un profond silence ? Même en cet instant, ô Christ, tu n’as point cessé de répandre ta miséricorde sur tes ennemis, et de faire tomber sur eux, le miel de ta douceur. Car en la touchant, tu as  guéri l'oreille de ton ennemi que ton disciple avait coupée, et tu as calmé le zèle de celui qui te défendait, en l'empêchant de faire du mal à ceux qui t’entraînaient. Maudite leur fureur, car elle était obstinée, ni l'éclat du miracle, ni la tendresse du bienfait rendu, ne la put calmer. Tu as été présenté au conseil des pontifes remplis de haine contre toi, et pour avoir confessé la vérité comme il le fallait, tu as été condamné à mort, comme un blasphémateur. Seigneur très aimant, quelles indignités tu as souffertes en ce lieu, de la part de ta propre nation ? Ton visage, si désirable, que les anges brûlent de contempler, qui remplit de joie, tous les cieux, qu'invoqueront tous les riches du peuple, ils l'ont souillé des crachats de leurs lèvres impures, ils l'ont frappé de leurs mains sacrilèges, ils l'ont couvert, en signe de dérision, d'un voile, et ils t’ont souffleté, Seigneur de toute créature, comme un esclave méprisable.

Car ils t’ont conduit garrotté devant Pilate, demandant que tu fus puni du supplice de la croix, toi qui ne connaissait pas le péché, et qu'on leur délivrât un homicide, préférant un loup à un agneau, la boue à l'or. Ô échange indigne et malheureux ! Et certes ce juge impie n'ignorait pas que la haine était le mobile de tous les mauvais traitements que l'on te faisait subir. Il ne détourna néanmoins pas de toi ses mains téméraires et abreuva sans motif ton âme d'amertume. Il t’en envoya à Hérode pour être joué, il t’accueillit quand tu as été bafoué, il te fit paraître nu en présence de ceux qui t’insultaient, il ne les retint pas de déchirer de coups très cruels ta chair virginale, frappant de nouveaux coups sur les premiers, et faisant des plaies sur tes déchirures. Ô ! Fils élu de mon Seigneur Dieu, qu'as-tu commis pour une si grande souffrance et d'une confusion si extraordinaire ? Absolument rien.

C'est moi, c'est moi, homme perdu, qui a été la cause de toute ta douleur et de toute ta honte.

 En effet que rapporte d'eux l'Ecriture ? (Mt 27,27) « Et ils convoquèrent à côté de lui toute la cohorte. Et le dépouillant de ses vêtements, ils le revêtirent d'une tunique de pourpre et lui passèrent une chlamyde d'écarlate. Et pliant une couronne d'épines, ils la mirent sur sa tête et placèrent un roseau dans sa main droite. Et fléchissant les genoux devant lui, ils se moquaient, disant: salut, roi des Juifs. Et ils lui donnaient des soufflets, et crachant sur lui, ils prenaient le roseau et frappaient sa tête. Et après l'avoir outragé, ils le revêtirent de ses habits, afin de le crucifier portant lui-même sa croix. Et ils le conduisirent au Golgotha, et ils lui donnaient à boire du breuvage de myrrhe mêlé avec du fiel. Et lorsqu'il l'eut goûté, il n'en voulut point boire, alors ils le crucifièrent et avec lui deux malfaiteurs, l'un d'un côté, l'autre de l'autre, Jésus au milieu, or Jésus disait : mon Père, pardonne-leur, parce qu'ils ne savent point ce qu'ils font. Jésus sachant que tout était consommé, afin que l'Ecriture fût accomplie, s'écria : j'ai soif. Et l'un d'eux courant, prit une éponge et la remplit de vinaigre et la mit au bout d'un roseau et il lui donna à boire. Ayant donc goûté ce vinaigre, il dit : tout est consommé, et à grands cris, il dit: Père, je remets mon esprit entre vos mains. Et ayant incliné la tête, il rendit l'âme. Alors, un des soldats ouvrit son côté d'un coup de lance, il en sortit du sang et de l'eau pour la rédemption de notre salut. »

Ce n'est pas sans raison que l'Eglise, qui est animée en même temps de l'Esprit de son époux qui est aussi son Dieu, a, par un rapprochement aussi nouveau qu'étonnant, placé aujourd'hui la lecture de la passion de notre Seigneur avec la procession des rameaux. Si la procession a ses chants de triomphe, la passion a ses gémissements et ses larmes. Or, puisque nous nous devons également aux sages et aux insensés, voyons quel fruit les uns et les autres peuvent recueillir de cette coïncidence. Et d'abord qu'enseigne-t-elle aux gens du monde, car ce n'est point l'esprit mais l'animal qui vient au premier rang (1 Co 15,46) ? Que l'âme mondaine remarque donc et se pénètre bien de ceci : la joie finit toujours par laisser la place à la tristesse (Pr 14,13). Voilà pourquoi celui qui a voulu commencer par agir avant d'enseigner (Ac 1,1) a montré clairement à tous  dans sa personne, lorsqu'il se fut fait chair, ce qu'il avait longtemps d'avance annoncé par son Prophète en ces termes : « Toute chair n'est que de l'herbe et toute sa gloire est semblable à l'éclat de la fleur des champs (Es 40,6). » Si donc il a voulu entrer en triomphe à Jérusalem, c'est parce qu'il savait que le jour des ignominies de la passion approchait pour lui. Quel homme, maintenant, osera placer son espérance dans une gloire temporelle si inconstante, quand il verra, pour celui même qui n'a point commis le péché, le Créateur des temps, et l'Artisan de l'univers, de si profondes humiliations succéder à de si grands honneurs : le Christ successivement mis à l'épreuve des outrages et des mauvais tourments, et finalement placé au rang des scélérats, dans la même ville, et dans le même temps où il avait reçu des honneurs divins, et par le même peuple qui l'avait accompagné en chantant les louanges? Telle est la fin de toute joie qui passe, tel est le fruit de la gloire temporelle. Aussi le Prophète demande-t-il dans une prière pleine de sagesse, que sa gloire chante les louanges du Seigneur sans qu'il ait ensuite à ressentir les poignantes atteintes des revers (Ps 29,13). C'est-à-dire, qu'il ait son cortège de gloire sans connaître ensuite les humiliations de la Passion.

Mais à vous, mes bien-aimés, je veux parler de choses spirituelles comme à des hommes spirituels eux-mêmes, et montrer, dans la procession, la gloire de la céleste patrie, et, dans la Passion, la voie qui y conduit. En effet, dans la procession vous vous êtes représenté en esprit, dans quels transports de joie et d'allégresse, nous nous sentirons un jour enlevés dans les nuées au devant de Jésus-Christ. Vous avez senti votre cœur enflammé du désir de voir le jour où le Christ Notre Seigneur et votre chef sera reçu avec tous ses membres, dans la céleste Jérusalem, triomphant et victorieux, aux applaudissements, non plus de ses compatriotes de la terre, mais des troupes angéliques et des peuples des deux Testaments qui s'écrieront ensemble : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (Mt 21,9) .» Vous vous êtes, dis-je, représenté dans la procession le but de notre voyage, je veux vous montrer maintenant dans la Passion, la honte qui conduit à ce terme. En effet la voie de la vie se trouve dans les tribulations présentes, c'est là qu'est la voie de la gloire et de la patrie, la voie qui conduit au royaume, selon ce que dit le bon larron du haut de la croix, quand il s'écrie : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras serez arrivé dans votre royaume (Lc 23,42). » Il voyait sur la route de son empire celui qu'il priait de se souvenir de lui quand il y serait arrivé, et il y arriva lui-même en effet. Mais vous voulez savoir combien courte est la voie qui y mène, rappelez-vous qu'il mérita d'y entrer le même jour avec le Seigneur. Ce qui rend facile à supporter les épreuves de la passion, c'est la gloire du triomphe, car il n'y a plus rien de difficile pour celui que l'amour inspire.