Le bonheur — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Le bonheur

Le bonheur que nous cherchons pour nous seuls n’existe pas : car un bonheur que le partage diminue n’est pas assez vaste pour nous rendre heureux. L’amour désintéressé, qui augmente à mesure qu’il est partagé, renferme le vrai bonheur.








Le bonheur que nous cherchons pour nous seuls n’existe pas : car un bonheur que le partage diminue n’est pas assez vaste pour nous rendre heureux. L’amour désintéressé, qui augmente à mesure qu’il est partagé, renferme le vrai bonheur.

Ce partage de l’amour étant infini, le bonheur virtuel qui en résulte est également infini. Le partage infini est la loi de la vie intime de Dieu. Dieu l’a ainsi voulu, si bien que c’est en aimant les autres que nous nous aimons le mieux, et que c’est dans une activité désintéressée que nous réalisons le mieux nos facultés d’être et d’agir.

Mais il ne peut y avoir bonheur s’il y a contrainte. Il ne suffit pas à l’amour d’être partagé, il doit l’être librement. L’amour désintéressé qui se donne à un objet intéressé n’apporte pas le bonheur parfait, non parce que l’amour exige, pour aimer, une réponse  ou une récompense, mais parce qu’il repose sur le bonheur de l’être aimé.

L’amour désintéressé consent, pour le bien de l’aimé, à être aimé de façon désintéressée, et, ce faisant, il se perfectionne.

Donner son amour, c’est donner la faculté et la capacité d’aimer, et c’est en donnant pleinement l’amour qu’on le reçoit. Aussi ne garde-t-on l’amour qu’en le donnant, et ne le donne-t-on parfaitement que lorsqu’on le reçoit.

La charité n’est ni faible, ni aveugle. Elle est essentiellement prudente, juste tempérée, et forte. Si toutes nos vertus ne se fondent en charité, notre amour n’est pas sincère. Quiconque veut vraiment aimer son frère refuse de l’aimer hypocritement. Si nous voulons aimer les autres, décidons-nous à les bien aimer, ou notre amour n’est qu’illusion.

Celui qui aime vraiment son prochain ne désire pas seulement pour lui bonheur, santé et prospérité en ce monde : l’amour ne peut se contenter de si peu. Si j’aime mon frère, je dois en quelque sorte pénétrer profondément dans le mystère de l’amour de Dieu pour lui. Je dois non seulement éprouver de la sympathie humaine, mais cette sympathie divine que Jésus nous a révélée et qui enrichit nos vies par la présence du Saint-Esprit dans nos cœurs.

La vérité que je dois aimer, en mon frère, est Dieu Lui-même, vivant en lui. Je dois chercher la vie de l’Esprit de Dieu qui respire en lui. Et je ne peux découvrir et suivre cette vie mystérieuse qu’avec l’aide de ce même Esprit vivant et agissant au fond de mon cœur.

La charité me fait chercher beaucoup plus que la satisfaction de mes désirs, même s’ils sont orientés vers le bien des autres. Elle doit faire de moi, dans leur vie, un instrument de la Providence de Dieu.

Une fidèle soumission à l’action secrète de Dieu dans le monde remplira notre amour de piété, c’est-à-dire de crainte et de respect surnaturels.

Quand tout est dit, il n’en demeure pas moins vrai que notre destinée est de nous aimer les uns les autres comme le Christ nous a aimés. Jésus avait très peu de vrais amis lorsqu’Il était sur terre, et cependant Il aimait. Il aime tous les hommes et est l’Ami le plus intime de toute âme venant en ce monde.

Donner aux autres notre amour, c’est leur donner le Pain de Vie, le Christ, et leur apprendre à aimer d’un amour qui ne connaît pas la faim.

 

 

                                                                                            Thomas Merton, Nul n’est une île (extraits chap.1).

Traduction Marie Tadié. Le  Seuil 1956.