Habiter la terre, habiter le te temps, habiter avec soi-même — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Habiter la terre, habiter le te temps, habiter avec soi-même

Les termes habiter, demeurer font partie du langage biblique… Nomades, en transit nous cherchons tous des points d’ancrage, de stabilité et la Parole nous dit où est la demeure véritable.

Les termes habiter, demeurer font partie du langage biblique… Nomades, en transit nous cherchons tous des points d’ancrage, de stabilité et la Parole nous dit où est la demeure véritable.

 Il nous est donné d’habiter la terre, c’est notre là notre condition humaine, notre lieu de vie incontournable. Dieu dit : emplissez la terre et soumettez-là (Gn 1,29 et ss) … à force de peine tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie … (Gn 3,17) Cette terre nous est offerte, cette « maison commune » n’est pas notre propriété, nous en sommes les gérants, les responsables, et aujourd’hui l’humanité prend conscience que nous gaspillons à tous niveaux ce qui ne nous appartient pas. L’encyclique Laudato si’ vient de nous le rappeler avec vigueur.

Habiter la terre c’est habiter un espace, un lieu. En effet lorsqu’il arrive que quelqu’un se présente à un groupe, il dit en général où il demeure, nos cartes d’identité et nos passeports indiquent toujours un lieu de résidence, et on dit de celui qui n’a pas de lieu d’habitation qu’il est sans abri signalant par là un manque. De celui qui n’a pas d’habitation fixe on dit qu’il est nomade, voyageur, rom, migrant ou girovague. La question a aussi été posée à Jésus par deux disciples du Baptiste qui leur avait désigné Jésus comme l’agneau de Dieu. En demandant à Jésus : « Où demeures-tu ? », ils souhaitaient sans doute en savoir un peu plus sur lui, mieux l’identifier, le connaître.

Ce lieu de vie, cet espace privé qu’est notre habitation permet de nous situer physiquement dans l’espace social. Arrêtons-nous ici sur l’exemple monastique. Le monastère est une structure physique, matérielle organisée selon un plan qui définit des espaces, des lieux de vie : au centre l’église espace de prière ; la salle du chapitre espace de rencontre ; le réfectoire avec les cuisines ; le cloître espace de circulation ; la bibliothèque et le scriptorium espaces de recherche, de lecture et de travail ; les espaces de sommeil : les cellules ; les espaces d’accueil : l’hôtellerie; l’espace de soin : l’infirmerie ; les espaces administratifs et les espaces de production qu’ils soient agricoles ou industriels. A cela s’ajoute les espaces sanitaires, de stockage et la buanderie sans oublier aujourd’hui l’incontournable magasin. Dans cet espace structuré, à l’écoute de Laudato si’, un certain nombre de monastères sont en recherche d’une production agricole respectant, protégeant et gérant au mieux cette terre dont nous avons la responsabilité et dont la gestion nous appartient. L’organisation de l’espace monastique, lieu école du service du Seigneur (RB Prol 45) est toute orientée vers une vie en autarcie de manière à ce que le moine sorte le moins possible de la clôture. Ces espaces sont habités physiquement et utilisés selon l’organisation de la journée.

Dans ces lieux tout est prévu en fonction d’un seul but à atteindre : habiter la maison du Seigneur (RB Prol 22, 23, 25, 39) il n’y a pas de place pour l’oisiveté car le temps doit être habité. L’espace- temps est structuré, programmé autour de trois pôles que sont la prière, la lectio divina et l’étude indispensable à la formation et le travail pour assurer la vie matérielle de la Communauté. Comme dans toute école il y a un emploi du temps d’où la fantaisie est exclue. Cet emploi du temps où les temps de repos ne sont pas négligés propose une manière de vivre, un chemin de conversion, un chemin de vie. On peut vivre dans ce cadre de manière superficielle, en se laissant porter par la structure ou au contraire y engager toute sa personnalité.

Dans sa « Vie de saint Benoît » saint Grégoire nous dit que Benoît habitait avec soi-même (Chap 3,5) Habiter avec soi-même ? Saint Grégoire l’explicite à propos de Benoît : « préoccupé par les soucis d’une communauté difficile il ne fera plus attention à sa conduite, ne surveillera plus sa vie… En effet quand nous avons trop de soucis, ils nous jettent loin de notre cœur profond. Bien sûr nous sommes toujours la même personne. Et pourtant nous n’habitons plus avec nous-mêmes, parce que nous oublions de nous regarder, et notre esprit court partout. » Benoît se connaissait lui-même. Se connaître est la condition pour habiter avec soi-même, c’est à dire d’abord prendre conscience de ce que nous sommes en toute humilité : une créature à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,26) tirée de la glaise et qui y retournera (Gn 3,19). Innombrables le nombre de cours proposés pour atteindre la pleine conscience ! Habiter avec soi-même c’est apprendre à vivre éveillé, savoir discerner, ne pas se laisser aller, ne pas vivre superficiellement, vivre en pleine possession de ses moyens, ne pas se laisser massifier c'est-à-dire se laisser piéger par la pensée et les modes du moment, ne pas succomber à toutes les sollicitations dont nous sommes l’objet, renoncer à se disperser, à papillonner, et surtout à sa volonté propre pour se centrer sur l’Essentiel dans la fidélité et la persévérance en vivant le chemin de l’obéissance qui permet une bonne relation à soi-même et  aux autres. Une lecture attentive du chapitre 4 de la Règle est un bon guide de ce chemin de liberté structurant. Habiter avec soi-même c’est aller à la rencontre, chercher et retrouver Celui qui nous habite et nous propose de le rejoindre.

Pour des laïcs ne vivant pas en communauté (on peut être très occupé sans rien faire (2 Th 3,10-11)), le témoignage de la vie monastique donne des repères et ouvre une voie et des éclairages sur une manière de vivre où prière, lectio divina, formation et travail peuvent trouver une harmonie et par là aider à structurer un chemin de conversion en nous proposant de réfléchir sur : 

la manière dont nous utilisons les biens de la terre : notre espace privé, notre positionnement vis-à-vis des espaces publics, professionnels, nos choix dans les biens de consommation 
sur l’organisation de notre agenda (notre espace- temps)
et nous demander quels sont nos critères de choix pour vivre pleinement notre humanité : comment nous nous habitons-nous-mêmes.

Sur cette terre où nous sommes de passage, des pèlerins, nous vivons dans l’éphémère et nous avons à vivre une « dynamique du provisoire » car notre véritable demeure est dans les cieux. (Ph 3,20).

Habiter avec soi-même c’est bâtir sa maison sur le roc en fonction de ce but.                                                                (RB Prol 33-34 ; Mt 7,24-27)