Du jeûne et de la prière — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Du jeûne et de la prière

Puisque l'époque du jeûne quadragésimal est arrivée, que j'engage vos charités à pratiquer avec dévotion, je crois bon de vous exposer comment il faut jeûner, et les fruits qu'on doit retirer du jeûne…

…. J’'avance une chose que vous avez bien souvent éprouvée vous-mêmes, si je ne me trompe, c'est que le jeûne nous fait prier avec plus de piété et de confiance. Aussi, voyez comme le jeûne et la prière vont bien ensemble, c'est, pour parler avec l'Écriture, « Comme deux frères dont l'un vient en aide à l'autre et qui se consolent mutuellement (Pr 18, 19). » La prière obtient la force de jeûner, et le jeûne mérite la grâce de prier. Le jeûne fortifie la prière, et la prière sanctifie le jeûne, en même temps qu'elle l'offre à Dieu. A quoi nous servirait, en effet, notre jeûne, s'il restait sur la terre ? Dieu nous préserve qu'il en soit ainsi ! Qu’il s'élève donc de terre sur l'aile de la prière. Mais ce n'est point assez d'une aile, il faut lui en donner une seconde. L'Écriture a dit : « La prière du juste pénètre les cieux (Si 35, 17). » Que notre jeûne, s'il veut s'élever sans peine vers les cieux, s'appuie sur les deux ailes de la prière et de la justice. Or, qu'est-ce que la justice, sinon une vertu qui consiste à rendre à chacun ce qui lui appartient. Cessez donc de ne faire attention qu'à Dieu. Vous avez des devoirs à remplir envers vos supérieurs et envers vos frères, et Dieu ne veut pas que vous ne teniez que peu de compte de ceux qu'il estime beaucoup lui-même. Ce n'est pas sans raison que l'Apôtre a dit : « Ayez soin de faire le bien, non seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes (Rm 12,17). » Peut-être vous diriez-vous j'ai fait assez, si Dieu est content de ce que je fais, qu'ai-je à me mettre en peine de ce que pensent les hommes? Or, soyez bien certains qu'il ne saurait avoir pour agréable tout ce que vous ferez au scandale de ses enfants, et contre la volonté de celui à qui vous deviez obéir comme à son représentant. Le Prophète a dit : « Ordonnez un jeûne saint, et convoquez une assemblée (Jl 2,15). » Or, que veulent dire ces mots: convoquez une assemblée ? N'est-ce point : conservez l'union, chérissez la paix, et aimez vos frères. L'orgueilleux pharisien observait bien le jeûne, il faisait un jeûne saint, il jeûnait même deux fois la semaine, et rendait grâces à Dieu, mais il ne convoquait point d'assemblée, car il disait au contraire : « Je ne suis pas comme le reste des hommes (Lc 18,11). » Aussi, son jeûne, ne s'appuyant que sur une aile, ne put monter jusqu'aux cieux. Pour vous, mes frères, lavez donc vos mains dans le sang du pécheur et ayez bien soin que votre jeûne ait ses deux ailes, je veux dire la pureté et la paix, sans quoi nul ne saurait voir Dieu. Sanctifiez votre jeûne si vous voulez que la pureté d'intention et une prière pieuse le portent aux pieds de la majesté de Dieu. « Convoquez une assemblée, » c'est-à-dire qu'il soit favorable à l'union. « Louez Dieu avec le tambour et la flûte » c'est-à-dire que la mortification de la chair et la concorde marchent de front.

… Puisque j'ai dit quelques mots du jeûne et de la justice, il convient que je vous parle un peu aussi de la prière. Or plus elle est faite comme il faut, la prière peut être efficace, plus aussi l'ennemi du salut est habile à en paralyser les effets. En effet, il arrive souvent que l'efficacité de la prière est détruite par la pusillanimité de l'esprit, et par une crainte excessive. C'est ce qui a lieu quand on est tellement préoccupé de sa propre indignité, qu'on ne peut tourner les yeux vers la bonté de Dieu. « En effet, l'abîme appelle l’abîme. » Un abîme de fange appelle un abîme de ténèbres; mais un abîme de miséricorde appelle un abîme de misère. Le cœur de l'homme est lui-même un abîme, et un abîme insondable. Mais si mon iniquité est grande, votre charité, ô mon Dieu, l'est bien davantage. Aussi, quand, se repliant sur elle-même, mon âme se sent troublée, pour moi je me rappelle la multitude de vos miséricordes, et je respire à ce souvenir, et lorsque je descends au fond de mes impuissances je ne veux me rappeler que votre justice.


Sermon 4 pour le Carême (Extraits), Traduction Charpentier 1872 revue