Avent — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Avec Benoît et les Pères cisterciens
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Avent

De l’Avènement de Notre Seigneur

1. Mes frères, nous célébrons aujourd’hui le commencement de l’Avent. Le nom, comme celui des autres solennités, en est familier et connu de tout le monde ; mais peut-être ne connaît-on pas aussi bien la raison pour laquelle il est ainsi appelé. Car, les infortunés enfants d’Adam, négligeant les vérités salutaires, s’attachent de préférence aux choses fragiles et transitoires. À qui assimilerons-nous les hommes de cette génération, à qui les comparerons-nous quand nous voyons qu’on ne peut ni les enlever ni les arracher aux consolations matérielles de la terre ? Je les comparerai aux gens qui se noient. En effet, voyez comme ils serrent ce qu’ils peuvent saisir ; rien ne saurait leur faire lâcher prise et quitter le premier objet qui s’est trouvé sous leur main quel qu’il soit, quand même il ne saurait leur être d’aucune utilité, comme des racines d’herbe et d’autres objets pareils. Et même si quelqu’un vient à leur secours, ils le saisissent ordinairement de telle sorte qu’ils l’entraînent avec eux et le mettent hors d’état de les sauver et de se sauver lui-même. Voilà comment les malheureux enfants d’Adam périssent dans cette mer vaste et profonde. Ils ne recherchent que des soutiens périssables et négligent les seuls dont la solidité leur permettrait de surnager et de sauver leurs âmes. Ce n’est pas de la vanité mais de la vérité qu’il a été dit : « Vous la connaîtrez et elle vous délivrera (Jn 8, 32). » Pour vous donc, mes frères, vous à qui Dieu révèle comme à de petits enfants, les choses qui sont cachées aux sages et aux prudents du monde, appliquez avec soin toutes vos pensées à ce qui est vraiment salutaire, pesez attentivement la raison de l’Avent et demandez-vous quel est celui qui vient, pourquoi il vient, quand il vient et par où il vient. C’est là une curiosité louable et salutaire, car l’Église ne célébrerait point l’Avent avec tant de piété, s’il ne cachait pour nous quelque grand mystère.

9. Il nous faut aussi considérer en quel temps est venu le Sauveur. Or il est venu ainsi que vous le savez, je le pense, non au commencement, ni au milieu, mais à la fin des temps. Ce n’est pas sans raison, mais avec beaucoup de raison, au contraire, que la Sagesse par excellence a réglé qu’elle n’apporterait de secours aux hommes qu’alors qu’il leur deviendrait plus nécessaire, car elle n’ignore point que les enfants d’Adam sont enclins à l’ingratitude. Or on pouvait dire avec vérité que déjà la nuit approchait, que le jour était sur son déclin, que le soleil de la justice avait un peu baissé à l’horizon et ne répandait plus sur la terre que des rayons presque éteints et une chaleur affaiblie. Car la lumière de la connaissance de Dieu était devenue bien faible, en même temps que, sous le manteau glacial de l’iniquité, la chaleur de la charité avait sensiblement baissé. Il n’y avait plus d’apparition d’anges, plus de prophètes pour parler. Il semble que, vaincus par le désespoir à la vue de l’endurcissement excessif et de l’obstination des hommes, ils avaient cessé les uns d’apparaître et les autres de parler. Mais moi, dit le Fils, « c’est alors que je me suis écrié, me voici, je viens (Ps 39, 8). » Oui, voilà comment à l’heure où tout reposait dans un paisible silence et que la nuit était au milieu de sa course, ta Parole toute-puissante, ô Seigneur, vint du Ciel et descendit de son trône royal (Sg 18, 14). C’est dans le même sens que l’Apôtre disait : « Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils (Ga 4, 4). » C’est qu’en effet la plénitude et l’abondance des choses du temps avaient produit l’oubli et la disette de celles de l’éternité. Il était donc bien à propos que l’éternité vînt puisque la temporalité prévalait. En effet, sans parler du reste, la paix temporelle elle-même était si générale alors, qu’un homme n’a eu qu’à l’ordonner et le dénombrement du monde se fit (Lc 2, 1).

10. Vous connaissez maintenant quel est Celui qui vient ; de même que là où il vient et d’où il vient, enfin le temps et la cause de sa venue vous sont également connus. Il ne nous reste donc plus qu’à rechercher avec soin par quelle voie il vient, afin que nous allions à sa rencontre, comme il est juste que nous le fassions. Mais, s’il est venu une fois sur la terre, dans une chair visible, pour opérer notre salut, il vient encore tous les jours invisiblement et en esprit pour sauver nos âmes à tous, selon ce qui est écrit : « Le Christ, Notre Seigneur, est un esprit devant nos yeux » (Lm 4, 20). Et pour que vous sachiez que cet avènement spirituel est caché, il est dit : « C’est à son ombre que nous vivrons au milieu des nations » (Lm 4, 20). Voilà pourquoi il est juste, si le malade est trop faible pour aller bien loin au-devant d’un si grand médecin, il s’efforce au moins de lever la tête et de se soulever un peu lui-même à son arrivée. Non, non, ô homme, tu n’as pas besoin de passer les mers, de t’élever dans les nues, de gravir les montagnes, et la route qui t’est montrée n’est pas longue à parcourir, tu n’as qu’à rentrer en toi-même pour aller au-devant de ton Dieu ; en effet sa parole est dans ta bouche et dans ton cœur. Va donc au moins au-devant de lui jusqu’à la repentance profonde et à la confession de la bouche, si tu veux sortir du fumier sur lequel ta malheureuse âme est étendue, car il n’est pas convenable que l’auteur de toute pureté s’avance jusque là. Mais qu’il vous suffise de ce peu de mots sur cet avènement, dans lequel il daigne éclairer nos âmes par son invisible présence.

11. Mais il faut aussi considérer la voie de son avènement visible, car toutes ses voies sont belles et ses sentiers pacifiques (Pr 3, 17). « Or le voici, dit l’Épouse, le voici qui vient, sautant sur les montagnes et passant par-dessus les collines (Ct 2, 8). Vous le voyez quand il vient, ô belle Épouse, mais vous ne pouviez le voir auparavant, quand il reposait, car vous vous écriiez alors : « Ô toi, le bien-aimé de mon âme, dis-moi où tu mènes paître tes troupeaux, où tu reposes (Ct 1, 7). » Lorsqu’il repose, ce sont les anges qu’il paît pendant des éternités sans fin, et qu’il rassasie de la vision de son immuable éternité. Mais ne vous méconnaissez point vous-même, ô belle Épouse, car c’est par vous que s’est produite cette admirable vision, par vous qu’elle s’est affermie, et vous ne pouvez y arriver. Mais voici qu’il est sorti de son sanctuaire, celui qui paît les anges quand il repose, il s’est mis en marche, il va nous guérir. On va le voir venant et rassasié, lui qu’on ne pouvait voir quand il reposait et paissait. Il vient, dis-je, en franchissant d’un bond les montagnes et en passant par-dessus les collines. Les montagnes et les collines, ce sont les patriarches et les prophètes ; or voyez dans sa généalogie comment il vient en franchissant les unes d’un bond et en sautant par-dessus les autres. « Abraham, y est-il dit, engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, etc. » (Mt 1, 2). Vous verrez en poursuivant que, de ces montagnes, sortit la souche de Jessé sur laquelle, selon le mot du Prophète (Is 11, 1-2), poussa un rameau qui produisit une fleur sur laquelle l’Esprit aux sept dons se reposa. C’est ce que le même Prophète nous explique dans un autre endroit en disant : « Une Vierge concevra et enfantera un Fils qui aura nom Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous » (Mt 1, 23). Ainsi, ce qui n’était d’abord qu’une fleur, il l’appelle ensuite Emmanuel, et ce qui n’était qu’un rameau, il dit plus clairement que c’est une Vierge.

Sermon 1 pour l’Avent, § 1.9-11 dans Saint Bernard, Œuvres complètes, trad. Abbé Charpentier, t. 2, Paris, Vivès, 1867, p. 563, 567-569.Cf. Saint Bernard, Sermons pour l’année, Brepols/Les Presses de Taizé, 1990, p. 38-39, 44-46.
Cf. Bernard de Clairvaux, Sermons pour l’année, t. I. 1 : Avent et Vigile de Noël (Sources chrétiennes 480), Cerf, 2004, p. 95-97, 113-119.