La croix du Christ — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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La croix du Christ

Les “enfants des Hébreux » selon la chair ne crient plus : “Hosanna au fils de David !”. Mais celui-ci n'est-il plus acclamé ? Les rois l'acclament, les empereurs l'acclament, les hommes, les femmes, les jeunes gens, les jeunes filles, les enfants aussi l'acclament, tout comme les vieillards. Regardez, des centaines de milliers d'êtres humains vont aujourd'hui à sa rencontre avec des palmes ! Des milliers étendent en ce jour devant lui non pas leurs vêtements mais leur corps ! Écoutez, des milliers de bouches humaines aujourd'hui crient, chantent, jubilent, implorent : “Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! “. Ainsi s'est accompli ce que disait saint David : “Le pécheur verra et s'en irritera, il grincera des dents et dépérira.”

Notre Jésus, que Siméon annonçait comme signe en butte à la contradiction, a donc été établi pour la chute et le relèvement d'un grand nombre. Or, ce signe en butte à la contradiction, signe élevé au milieu des nations, c'est le signe de sa passion, le signe de sa croix. Voilà le signe que le monde entier a contredit, scandale pour les juifs, folie pour les païens. Nous prêchons, dit l'Apôtre, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens. Et voyez, mes frères, combien ce signe a été vite contredit. Ainsi que vous l'avez entendu dans l'évangile, le jour même où ce signe fut dressé, Pilate avait fait écrire cette inscription : Jésus de Nazareth, roi des Juifs. Il fut immédiatement contredit par ceux qui dirent : “N'écris pas : roi des juifs !”. Mais la croix du Christ a vaincu cette contradiction ; là où les impies s'imaginaient avoir vaincu le Christ, celui-ci apparut bien plutôt vainqueur. Le signe de sa victoire est fixé sur la croix même et, le comble, par ses ennemis eux-mêmes ! Ceux-ci s'étaient mis d'accord pour le mettre à mort, et les voilà qui se disputent à propos de son titre de gloire ! “N'écris pas”, dit le Pharisien. – “Ce que j'ai écrit est écrit”, dit Pilate. À présent Pilate est mort, et le Pharisien aussi, et pourtant ce que Pilate a écrit n'a pas été effacé.

Mes frères, une joie extraordinaire ne jaillit-elle pas en vos cœurs lorsque vous voyez devant vous le signe de la croix rendu glorieux par cette inscription ? Sur la croix du Christ, on peut toujours lire : “Jésus de Nazareth, roi des Juifs !”, tant a été vaine la contradiction des impies ! Après la contradiction des juifs, vient celle des païens : les empereurs prennent leurs armes contre la croix du Christ, les philosophes discutent, les orateurs pérorent, et même le bas peuple se déchaîne. Que dirai-je ? Le monde entier lutte partout contre ce pauvre bois.. Mais considérez, frères, la toute-puissance de notre Seigneur Jésus-Christ, considérez sa sagesse. Il n'y avait rien de plus abject que ce bois, rien de plus vil, rien de plus haïssable, rien de plus horrible : quoi de plus vil en effet qu'une croix où l'on pendait les bandits, où l'on mettait à mort les violateurs de la Loi, où l'on faisait périr les parricides ? Eh bien, par ce bois, le Seigneur a soumis les empereurs, confondu les sages, instruit les simples et les ignorants, glorifié les pauvres, et il a fait d'eux tous des adorateurs de ce bois. Voici, frères, qu'il n'y a rien de plus glorieux sur le front des rois, rien de plus illustre dans leur main, rien de plus salutaire sur leur cœur. Toute la contradiction a donc péri, mais puisse-t-elle avoir péri dans la manière de vivre autant que de bouche ! Car beaucoup, même parmi ceux qui font profession de la croix du Christ – ce qui est encore bien plus regrettable –, sont en contradiction avec la croix du Christ, non pas de bouche mais par leur manière de vivre. Écoutez l'Apôtre : Je vous l'ai souvent dit et je le redis maintenant en pleurant : beaucoup se conduisent en ennemis de la croix du Christ. Qui sont les contradicteurs de la croix du Christ sinon les ennemis de cette croix ? Et qui sont-ils ? Ceux qui ont pour dieu leur ventre !

Je m'adresse à vous, mes frères, mes fils, vous qui n'êtes pas seulement des adorateurs de la croix du Christ mais des profès de cette croix, pas seulement des profès mais aussi des amants de cette croix. Je m'adresse à vous, et que chacun pense comme il veut, qu'il juge comme il veut, qu'il se fasse illusion autant qu'il veut dans la croix du Christ, il n'y a rien de tendre, rien de mou, rien de délicat, rien d'agréable pour la chair et le sang. Que cette croix du Christ soit donc désormais comme le miroir du chrétien. Que celui-ci se regarde dans la croix du Christ pour voir si sa vie, sa manière de vivre est en accord avec cette croix. Dans la mesure où il participe à la croix du Christ, il peut espérer avoir part à la gloire du Christ. Mais celui qui repousse l'amertume de la croix du Christ, qu'il redoute d'être peut-être écarté du regard du Crucifié. Vous, mes frères, voyez combien vous devez vous réjouir, vous qui êtes crucifiés avec le Christ lui-même.

Je dis la vérité, je ne mens pas : notre Ordre, c'est la croix du Christ. Dès lors, frères, veillez soigneusement à deux choses : ne vous éloignez jamais de la croix du Christ et, une fois placés sur la croix, ne faites rien contre la croix. Pour parler plus clairement, je dirais: “Persévérez dans l'Ordre qui est le vôtre et, y persévérant, ne faites sciemment rien qui soit contre lui. Alors, sans aucun doute, vous suivrez le Christ là où il vous a précédés par sa croix.”

J'aimerais beaucoup, frères, vous parler plus abondamment de la croix du Christ : elle est notre gloire, elle est notre vie. Mais il faut garder la mesure, d'autant plus que nous avons à consacrer plus de temps aux divins offices. Tournons-nous donc vers notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, et tâchons d'obtenir de sa miséricorde qu’il daigne poser son regard sur cette famille qui est la sienne, pour laquelle il n'hésita pas à être livré aux mains des impies et à subir le supplice de la croix. Lui qui vit et règne avec le Père et l'Esprit Saint, Dieu pour les siècles des siècles.

Amen

Sermon 10, « Pour les Rameaux », § 21-31, dans Aelred de Rievaulx, Sermons. Première collection de Clairvaux
(Pain de Cîteaux, série 3, 11), Abbaye Notre-Dame du Lac, 1997, p. 161-165.