Les sommets de la charité — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Les sommets de la charité

L’amour de Dieu nous provoque à un double amour : celui où nous prenons soin de notre propre salut, et celui où nous sommes unis au prochain par une affection pure. Par ce double amour s’acquiert l’innocence qui consiste en deux choses : ne pas se nuire à soi-même ni à autrui.

Or il se nuit à lui-même, celui qui se corrompt par la souillure de quelque vice ou de quelque action honteuse. Ce vers quoi entraînent les plaisirs de la chair et la sensualité. Il est facile de les repousser si, revêtu d’un sentiment de tendresse pour la chair de notre Sauveur, on met sa joie à regarder avec les yeux de l’esprit le Seigneur de Majesté s’abaisser jusqu’à l’étroitesse d’une crèche, convoiter avidement le sein virginal, être serré dans les bras d’une mère, se laisser baiser par les bienheureuses lèvres d’un vieillard tout tremblant, saint Siméon. À la vue de choses si émouvantes, qui ne prendrait en dégoût les plaisirs de la chair ? Alors coulent facilement de douces larmes qui éteignent toutes les flambées de la concupiscence, apaisent la chair.

Quant à l'amour des ennemis, qui constitue la perfection de la charité fraternelle, rien ne nous encourage autant que de considérer avec gratitude l'admirable patience du plus beau des enfants des hommes. Il a offert son beau visage aux crachats des impies. Il les a laissés mettre un bandeau sur ses yeux qui, d'un signe, gouvernent l'univers. Il a exposé son corps au fouet. Il a soumis aux piqûres des épines sa tête qui fait trembler princes et puissants. Il s'est livré lui-même aux opprobres et aux injures. Et enfin il a supporté patiemment la croix, les clous, la lance, le fiel, le vinaigre, demeurant au milieu de tout cela plein de douceur et de bonté. Comme une brebis il fut mené à l'abattoir, comme un agneau devant celui qui le tondait, il s'est tu et n'ouvrit pas la bouche.

Orgueilleuse impatience de l'homme, considère celui qui a souffert tout cela et vois comment il l'a supporté ! Il y a là de quoi méditer plutôt que d'écrire. Qui ne sentirait tomber immédiatement toute colère au spectacle d'une si admirable patience ? Qui n'embrasserait pas tout de suite ses ennemis avec effusion en entendant cette parole pleine de douceur, de charité et d'imperturbable sérénité : « Père, pardonne-leur » ? Que pourrait-on ajouter à la douceur et à la charité de cette prière ? Et pourtant le Seigneur ajouta quelque chose. Il ne se contenta pas de prier, il voulut aussi excuser : « Père, dit-il, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ». Ils sont sans doute de grands pécheurs, mais ils en ont à peine conscience ; c'est pourquoi, Père, pardonne-leur. Ils crucifient, mais ils ne savent pas qui ils crucifient, car s'ils l'avaient su, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. C'est pourquoi, Père, pardonne-leur. Ils pensent qu'il s'agit d'un hors-la-loi, d'un usurpateur de la divinité, d'un séducteur du peuple. Je leur ai dissimulé mon visage. Ils n'ont pas reconnu ma majesté. C'est pourquoi, « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font ».

Pour apprendre à aimer, que l'homme ne se laisse donc pas entraîner par les impulsions de la chair. Et pour ne pas céder à la convoitise charnelle, qu'il oriente tout son élan d’amour vers la douce patience de la chair de Dieu. Pour trouver le repos dans les délices de la charité fraternelle, qu'il étreigne aussi ses ennemis dans les bras du véritable amour. Mais pour que les injures n’éteignent pas ce feu divin, qu'il fixe toujours les yeux de l'esprit sur la sereine patience de son bien-aimé Seigneur et Sauveur.

Le miroir de la charité, livre III, ch. 5