Une vie pour tous — Avec Benoît et les Pères cisterciens

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Avec Benoît et les Pères cisterciens
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Une vie pour tous

Frère Christophe Lebreton était le plus jeune des moines de la communauté trappiste de Notre-Dame de l’Atlas en Algérie. Né à Blois en 1950, son parcours est riche. Pour faire connaissance avec lui, écoutons-le qui s’adresse à ses frères de Tibhirine en 1989. Il retrace son itinéraire personnel pour resituer sa demande à être ordonné prêtre.

Une vie pour tous

 

Vocation : c'est une lecture de ma vie que je vous propose et puisque j'ai bientôt 40 ans cela pourrait faire long et ennuyeux donc quelques morceaux... choisis sinon de choix ! Avec comme clé de lecture ceci : « ma » vocation n'est pas à moi, ni même une affaire privée entre Dieu (Jésus) et moi : elle est ce plus intime, ce plus caché qui est (comme pour chacun de vous) ouverture, offrande concernant l'humanité entière. Non ce n'est pas être ambitieux que dire cela. Je ne crois pas ! Cette vocation est d'Eglise et elle ne m'appartient pas.

 

L'enfance.... j'ai beaucoup oublié. Je retiens ce lieu assez particulier constitué par beaucoup de frères et soeurs autour de nos parents: une famille nombreuse... et là-dedans des histoires particulières – contradictoires- des événements – des joies- des blessures... une communion – l'Eglise sûrement pour moi commence là et c'est l'histoire de la Miséricorde de Dieu. Un jour j'ai demandé à entrer au Petit Séminaire. Peut-être mon premier acte d'indépendance ou mieux l'impression d'un acte de liberté reçu et vécu comme tel par mes parents qui acceptent. Pourquoi cette demande ? L'image qui demeure c'est celle de la maison entrevue lorsque nous allions à l'école (grande bâtisse blanche recouverte de tuiles romaines), et aussi parce que mon grand-père m'y avait conduit une fois lors d'une des promenades qui nous étaient si chères à l'un et à l'autre. J'étais son petit Christophe, porte Christ.

 

61-68 Petit Séminaire... une enfance marquée par cette impression d'une élection de Dieu et donc d'une réponse à donner ? Devenir prêtre qu'est-ce que cela voulait dire pour moi à l'époque ? L'image d'un père blanc: être missionnaire; une aventure intérieure : l'expérience de la maladie de ma grand-mère ? Pourquoi devait-elle mourir ? Est-ce que je pourrais prendre sa place ? M'offrir, ce désir de mourir devait en moi faire un long chemin et s'éclairer enfin dans la lumière du Christ donnant sa vie librement et le pouvant parce qu'il ne cesse de se recevoir de Son Père, d'accomplir le Don ; [...]

1968... l'expérience d'une compréhension autre de ma vocation : la référence non plus au prêtre mais au professeur de philosophie, non plus à l'homme, mais à la femme. Début d'une période assez tourmentée, inquiète. Vocation = Gide, S. Weil, le bonheur, la poésie, la philosophie. L'expérience d'une faille, d'une brisure dans l'institution. Il était difficile de « croire » au Grand Séminaire tel qu'il se présentait alors. Un souci de vérité par rapport à la maison Eglise, visite à l'évêque... des liens qui demeurent aujourd'hui avec les prêtres du Petit Séminaire (P. Boitard)

 

68-72... Tours: des études et la vie d'un étudiant. Emmaüs : un engagement qui peu à peu me prend. Il y a des pauvres... un voeu a-religieux : rester pauvre. Une rencontre de l'Amour Crucifié: au coeur de mon péché ; une conversion : suivre Jésus, l'aimer ; une figure : frère Charles.

 

72-74... Algérie : expérience de vie en Eglise. Petits Frères ou N-D de l'Atlas : suivre Jésus frère universel. Si je regarde cette expérience spirituelle j'y vois comme un retour, celui de l'enfant prodigue – à la maison du Père- l'Eglise. La vocation ici est inséparable de l'expérience chrétienne. Etre au Christ dont l'Amour aujourd'hui me rejoint dans ma misère, et me sauve. L'image du prêtre n'apparaît pas. Je me sais trop indigne mais je garde en mémoire l'expérience d'une ordination fondamentale, d'une investiture : le baiser du Père à son enfant retrouvé : le sacerdoce du Fils icône de la miséricorde du Père.

 

74-89... vie monastique : je ne parlerai de cette expérience de vie monastique que sous l'angle de ses rapports avec la question du « devenir prêtre ». L'appel de Jésus à le suivre n'est pas lié à l'exercice d'un ministère dans l'Eglise. Mon choix de vivre ma réponse à cet appel dans la vie monastique trouve son fondement et son exigence dans le baptême : être au Christ mon Sauveur et passer en Lui de la mort à la vie... vers le Père par l'Esprit. La dimension ministérielle trouve sa place dans l'existence quotidienne: servir n'est pas « réservé » aux ministres ! La dimension proprement sacerdotale elle aussi s'impose : ne rien préférer à l'amour du Christ c'est communier à Ses souffrances et participer à la puissance de sa Résurrection. Et puis c'est entrer dans l'amour de Dieu pour ce monde : Dieu l'a tant aimé qu'il lui a donné son Fils... Ce  programme » de sainteté suffit à occuper une vie... Simplement je me propose à être ordonné. C'est au passif afin de laisser place à l'Esprit. Etre ordonné des mains de l'évêque oui par la puissance de l'Esprit. Je réalise combien j'ai à me convertir pour pouvoir accueillir cet événement de grâce, cet événement d'Eglise : être fait prêtre pour le service de ses frères et de tous. Je ne demande pas vraiment c'est peut-être trop pour un événement auquel je me sens appelé. J'attends d'être appelé si c'est la volonté de Dieu. Je sais aussi que étant ordonné... restera à devenir prêtre (cf. Jésus ayant été conduit à la perfection). J'ai regardé Jésus : pour lui être prêtre c'est être Fils. Cf. l'icône de la Trinité, et aussi Marie et l'enfant prêtre : Jésus est pleinement ordonné à l'Amour... et son humanité a été conduite, a été ordonnée à l'Amour par des souffrances offertes, par l'obéissance. A la Cène Jésus institue l'Eucharistie : faites ceci en mémoire de moi. Ce faire est confié à l'Eglise tout entière et le prêtre signifie à l'Eglise que Jésus ne cesse pas de l'Inviter à faire eucharistie, à devenir sa vivante mémoire aujourd'hui et ici. J'aimerais avec le disciple bien aimé me pencher sur le coeur du Bien Aimé pour entrer plus avant dans ce Mystère. Jésus grand prêtre miséricordieux... nous confie le plus beau pouvoir : celui du pardon. Ce pouvoir m'a sauvé de l'enfer et j'aspire à le signifier pour mes frères... là encore il me reste à devenir prêtre... ordonné à la Miséricorde. Pour terminer et ouvrir tout ce discours peut-être trop personnalisé : j'ai conscience d'être sur un chemin ou Jésus me précède (Jésus est l'initiateur des sacrements). J'ai conscience de marcher avec vous, en Eglise. Peut-être un partage de vocations serait intéressant ? J'ai conscience que ce « devenir prêtre » qu'il conduise ou non à un ministère ordonné concerne ces autres croyants qui sont « un peuple sans prêtre(s) » ou du moins sans signes pour le leur montrer... et Jésus ne peut pas s'en « désintéresser » quand il donne son Corps – son Sang pour tous. Enfin je voudrais me situer – avec vous - au pied de la croix qui nous rassemble : Femme voici ton fils. Voici ta mère.

 

Présentation en communauté 1989,

Frère Christophe, moine de Tibhirine : de l’enfant bien-aimé à l’homme tout donné

Marie-Dominique MINASSIAN, Abbaye de Bellefontaine, Godewaersvelde 2009,

pp. 210-212